TC Elimane ayant disparu, Diégane va décider de partir sur ses traces pour tenter de savoir ce qu’il est devenu, qui il était et dans quel cadre il a écrit ce roman tant critiqué. Et cette quête va l’amener à voyager en Europe, au Sénégal et en Argentine, afin de rencontrer des personnes qui ont connu TC Elimane.
Le livre s’ouvre sur une citation du grand écrivain chilien Roberto Bolaño, d’où est tiré le titre du roman :
« Un temps la Critique accompagne l’œuvre, ensuite la Critique s’évanouit et ce sont les Lecteurs qui l’accompagnent. Le voyage peut être long ou court. Ensuite les Lecteurs meurent un par un et l’Oeuvre poursuit sa route seule, même si une autre Critique et d’autres Lecteurs peu à peu s’adaptent à l’allure de son cinglage. Ensuite la Critique meurt encore une fois et les Lecteurs meurent encore une fois et sur cette piste d’ossements l’Oeuvre poursuit son voyage vers la solitude. S’approcher d’elle, naviguer dans son sillage est signe indiscutable de mort certaine, mais une autre Critique et d’autres Lecteurs s’en approchent, infatigables et implacables et le temps et la vitesse les dévorent. Finalement, l’Oeuvre voyage irrémédiablement seule dans l’Immensité. Et un jour l’Oeuvre meurt, comme meurent toutes les choses, comme le Soleil s’éteindra, et la Terre, et le Système solaire et la Galaxie et la plus secrète mémoire des hommes. »
Roberto Bolaño, Les détectives sauvages
Il est donc permis de penser que l’auteur s’est inspiré de Roberto Bolaño, et il est vrai que nous retrouvons ici, comme dans Les Détectives sauvages, un groupe d’artistes bohèmes et une enquête menée autour de l’un des personnages… et l’on pensera aussi à 2666 (dont je vous parlais ici-même début 2014), où quatre chercheurs partent à la recherche d’un écrivain mythique. Nous retrouvons chez Mohamed Mbougar Sarr comme chez Roberto Bolaño cette impression de foisonnement ainsi que des thèmes comme la place de l’écrivain, l’errance, les désordres de l’Histoire…
L’auteur nous fait voyager géographiquement mais également dans l’Histoire et nous amène à adopter différents points de vue, en fonction des narrateurs, ce qui peut sembler quelque peu déroutant.
Nous pourrons par ailleurs penser à Jorge Luis Borges (que les Collecteurs ont beaucoup lu) et à sa nouvelle Pierre Ménard auteur du Quichotte, dans laquelle Pierre Ménard, un Français qui vit dans les années 1930, va décider de réécrire à l’identique le Quichotte, et finalement (selon le narrateur) aura fait tout autre chose, forcément influencé par la langue et le contexte dans lesquels il vit.
Car nous abordons ici la question de l’héritage culturel et littéraire.
Ainsi, l’aspect le plus intéressant est sans doute la réflexion sur ce que c’est que la littérature et sur ce que c’est qu’être un écrivain africain (trouver sa propre façon d’écrire, dans sa propre culture, en intégrant en même temps toutes les influences européennes et autres).
Il y aurait évidemment de nombreux autres points à aborder et à étudier dans ce roman si riche, mais je m’arrête là pour le moment et terminerai par une pirouette et un clin d’oeil, en citant un passage de ce magnifique roman (p50) :
« Je vais te donner un conseil : n’essaie jamais de dire de quoi parle un grand livre. Ou, si tu le fais, voici la seule réponse possible : rien. Un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant, tout y est. Ne retombe plus jamais dans le piège de vouloir dire de quoi parle un livre dont tu sens qu’il est grand. Ce piège est celui que l’opinion te tend. Les gens veulent qu’un livre parle nécessairement de quelque chose. La vérité, Diégane, c’est que seul un livre médiocre ou mauvais ou banal parle de quelque chose. Un grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire ou découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque chose aussi est déjà tout. »
Je conseille la lecture de ce roman, et pas seulement parce qu’il a obtenu le prix Goncourt 2021 !
Rachel Mihault
La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr, éditions Philippe Rey et Jimsaan, 2021
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