mardi, novembre 26, 2024

"La vie sans fard" de Maryse Condé (Guadeloupe)

Ce texte autobiographique de Maryse Condé, autrice guadeloupéenne née en 1934 et morte en avril dernier, raconte les onze années de sa vie africaine. Il démarre en 1958 au moment de sa rencontre avec Mamadou Condé, Guinéen, qu’elle a épousé à vingt-quatre ans, et se termine en 1969 avec sa rencontre du Britannique qui sera son second mari et avec qui elle partagera le reste de sa vie.

Ce récit nous emmène en Côte-d’Ivoire, en Guinée, au Ghana et au Sénégal, en passant par Paris et Londres.

Ce que j’admire dans ce récit – écrit environ quarante ans après les faits rapportés et, donc, à plus de 75 ans – c’est surtout la mise à nu assez exceptionnelle d’une femme à la fois bouillante et lucide, pétrie de contradictions qu’elle a su admettre et examiner avec une rare honnêteté. Elle ne cherche pas le beau rôle ; ni le mauvais d’ailleurs. Elle décrit juste les tourbillons dans lesquels elle s’est retrouvée prise et qui l’ont menée à un début de vie d’adulte à la fois très aventureux et très entravé par les us et coutumes des sociétés parfois antagonistes dans lesquelles elle a grandi, vécu et évolué.

Au cœur de ces contradictions : son rôle de mère non véritablement anticipé, sa vie de femme et sa vie professionnelle ; mais aussi ses idées marxistes se heurtant aux réalités des pays ayant traversé des « révolutions » et à celles de ses ambitions personnelles très liées à son éducation antillaise bourgeoise.
Très notable : son indépendance d’esprit. Elle l’oblige à pointer du doigt les 1000 contradictions que les autres acceptent rarement de percevoir, et surtout de formuler. Ça la rend assez poil à gratter, et je crois aisément qu’elle ne devait pas être simple à vivre… ni pour les autres, ni pour elle-même finalement.


J’ai coché une dizaine de passages édifiants pour moi. Ce serait un peu long de les reprendre. Je vais essayer d’en dégager les thèmes déjà.

Page 75 : Elle tombe viscéralement amoureuse d’un Haïtien fils naturel de Duvalier… Président contre lequel son précédent et premier amour a lutté, retournant pour l’occasion au pays, la laissant elle enceinte et sans ressources à 22 ans.

Page 98 : Les idéaux politiques versus la réalité des hommes qui les incarnent.

Page 102 : Sa formation politique liée aux hasards des rencontres plus qu’à un cheminement intellectuel personnel.

Page 128 : Sa lecture de Fanon qui la conforte dans sa manière très très nuancée de percevoir ce que serait « La » culture noire.

Page 162 : Une illustration de sa façon lucide de percevoir son comportement très critiquable avec son mari.

Page 186 : Sur le sentiment de supériorité que ressentent finalement les Caribéens et les Noirs américains vis-à-vis de l’Afrique et des Africains.

Page 190 : La colonisation du Ghana par les Noirs américains !

Page 246 : Naissance de son envie d’écrire, de fixer sur le papier des évènements qui la hantent.

Page 251 : L’appréciation des raisons de son amour pour Kwane, un avocat jugé bourgeois et suffisant par ses amis : « Que voulez-vous ! On ne peut jamais renier ses origines ! Je ne pouvais oublier que je sortais moi-même d’arrogants petits-bourgeois. Et puis, peut-être que je n’étais pas aussi intelligente que mes amis le croyaient. Sinon, ma vie aurait-elle été un tel chaos ? »

Page 271 : Une amie lui assène que finalement ce que Maryse cherchait en Afrique c’était :
«  « Une terre faire-valoir qui te permettrait d’être ce que tu rêves d’être. Et sur ce plan, personne ne peut t’aider. » Je ne suis pas loin de penser aujourd'hui qu’elle disait vrai. »

Laurence Holvoet

NB : Plus d'informations à découvrir sur les lectures de Maryse Condé par Les Collecteurs ici => https://versionlibreorg.blogspot.com/2024/11/compte-rendu-de-la-reunion-du-samedi-19.html  

"La vie sans fard" de Maryse Condé. JC Lattès, 2012. 334 p.

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