Petite lecture au cœur de l’été.
Acheté à la librairie de Saint Hippolyte du Fort, La cigale à lunettes (!), il y a quelques jours, ce petit livre de 80 pages raconte de manière à la fois très elliptique et plutôt poétique l’histoire des Cévennes du début du 18e siècle à aujourd’hui. De belles pages racontant comment les hommes ont façonné le paysage en manipulant des pierres encore et encore pour rendre les terres escarpées cultivables. D’autres racontant aussi très bien l’exode rural… et l’arrivée de nouveaux venus.
À noter que c'est un éditeur de la région, Alcide éditions, qui publie ce petit livre dans sa collection Littérature. Ils font aussi de très beaux agendas !
Laurence Holvoet
pp. 70-71
« Savent-ils, ces nouveaux venus, qu’ils habitent un paysage qui fut un pan du génie industrieux des hommes ? Un espace dont la religion et l’histoire pourraient meubler une bibliothèque des livres qu’elles ont inspirés ? Un morceau de l’Europe qui nous a faits ?
Sans doute pas. Mais la vérité d’un pays ne réside pas seulement dans les bibliothèques, dans la généalogie des vieux, dans la commémoration même protestante. Faut-il, suffit-il de venir d’un pays pour en être ? Sa vérité n’est-elle pas autant dans les travaux et les jours de ceux qui l’ont choisi ? Leurs pas continuent à user les chemins, leurs mains à rebâtir les pierres, leurs voix à retentir sous les toits et les châtaigniers. Ils ont peut-être appris une poignée de noms en perdition. Viennent les mauvaises saisons de l’année, ils sont là à gader le pays. Bien ou mal. Pas plus mal que d’autres, sans doute. Quand la nuit descend, elle ne noie pas des vallées entières ; elle se cogne à des écueils où gît une peu de chaleur et de lumière. Si vous y montez, vous entendrez un chien aboyer, un moteur de voiture ou de tronçonneuse. Vous trouverez du feu les jours de froid, des repas bruyants, des baignades et des éclaboussures au beau de l’été. Si partout des maisons ruinées gémissent sous le gel, d’autres ont renoué avec la vie, ont réussi à faire la soudure malgré ce 20e siècle et ses pestes qui auront tout vu périr.
Que peuvent dire de tout cela ceux qui sont partis ? Eux-mêmes ne sont pas coupables. Ils l’ont fait dans la dignité et la vérité, qu’ils aient cru choisir ou obéir à une fatalité. Ils n’ont pas déserté : ils reviennent l’été, parfois le week-end ; à la retraite ou pour leur dernière demeure, comme on dit. Assez peu ont vendu les maisons. Ce n’est pas encore le Lubéron autour d’Anduze, même si on sent venir les choses. On aurait tort de jeter la pierre aux enfants partis. Chacun est jeune, chacun est moderne, à son tour. Les tours changent.
Le pays a connu des oppositions, des confrontations. Entre hippies et Cévenol. Entre ceux d’ici, même s’ils n’y sont plus, et ceux qui ne sont pas d’ici, même s’ils y sont. L’épopée huguenote fait vibrer des gens, d’autres la lisent à la Che Guevara, d’autres encore ne savent même pas de quoi il s’agit. Il faudrait interroger celui ou celle qui habite, peut-être, la vraie ou fausse maison natale d’Esprit Séguier.
Ce monde est étrange, il est vrai. Les originaires réapparaissent en vacanciers, les nouveaux venus sont là à demeure, premiers destinataires des vents, des pluies et des soleils qui passent sur le visage du monde. Qu’est-ce qui fait titre, avoir ses morts dans les jardins ou le fruit des saisons sur ses pommettes et dans les yeux ? Cévennes « légale » ou Cévennes « réelles » ? »
"Cévennes, un jardin d’Israël" de Patrick Cabanel. Alcide éditions, 2018. 80p.
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