Roman (re)trouvé chez maman. J’ai un souvenir à la fois vague et pourtant persistant d’avoir vu à cette époque-là cette autrice acadienne, Antonine Maillet, dans une émission d’Apostrophe.
Et j’ai (re?)lu ce roman avec délice. La transcription écrite de la langue du peuple acadien m’a plongée dans les conversations normandes de mon enfance… J’ai lu de longs passages à voix hautes tellement c’était jubilatoire pour moi.
Ce roman, c’est une sorte de chronique d’un petit pays des Côtes du nord est de l’Amérique… Une fois n’est pas coutume, je reprends la 4eme de couverture pour en dire plus :
« Pour ceux qui « viennent de l'étrange », l'Acadie est un pays perdu quelque part au loin sur les côtes canadiennes. Mais l'extraordinaire talent « raconteux » d'Antonine Maillet réussit à le rendre aussi proche qu'une province de chez nous.
Plongé dans la chronique mouvementée d'un petit havre des « Côtes » où les clans se disputent depuis toujours, on suit avec un amusement stupéfait la geste d'une tribu sans pareille. Nichées depuis trois générations sur les Cordes-de-Bois, une butte qui domine le bourg, les Mercenaire sont une famille de femmes libres conduites par la Bessoune. Au fil des ans, ce sera la guerre ouverte avec MacFarlane, marchand de bois écossais, avec Ma-Tante-la-Veuve et les siens, vertueux cagots, tandis que le curé arbitre. L'arrivée d'un jeune vicaire aventureux, la venue du matelot irlandais Tom Thumb et pas mal d'événements imprévus – car l'époque en est fertile ; c'est la grande crise avec ses chômeurs, ses bootleggers, sa folie – tout cet étonnant charivari va soudain rassembler autour des Mercenaire la sympathique racaille du pays.Contre les pusillanimes et les saintes nitouches, les Cordes-de-Bois devient le dernier refuge des déshérités vendus à l'encan, en attendant que la Bessoune rencontre l'homme qu'elle attendait, histoire de prolonger la saga des Mercenaire. »
Et je vois qu’Antonine Maillet est morte en février de cette année, à presque 96 ans donc ! Elle avait eu le Goncourt en 1979 pour « Pélagie-la-Charette » qui évoque le Grand Dérangement de 1755, c’est à dire la déportation des Acadiens par les Britanniques.
Et en fait, « Les Cordes-de-Bois » avait lui aussi été nominé pour le Goncourt… et s’est retrouvé à égalité avec « John l’Enfer » de Didier Decoin qui l’a obtenu parce que le jury aurait mis en avant que le prix ne pouvait pas revenir « « à une œuvre écrite dans la langue d'avant Malherbe » !
Bon, ils ont fini par changer d’avis… Antonine Maillet est la première lauréate non-européenne du prix… À noter aussi que c’était la 6e femme à l’obtenir – et que depuis, sur 123 lauréats, elles ne sont que 13 filles (soit 6 en 46 ans)… bref !
Un petit extrait qui donne un aperçu de la manière dont le récit des Cordes-de-Bois est construit ; c’est un tissage de racontars qui permet à la narratrice de brosser le panorama de l’ambiance dans ce petit coin paumé des terres franco-américaines :
Page 189
« Dans un pays comme le mien, on est au fait tout de suite des grands et des petits évènements qui se déroulent dans la vie de chacun. Mais comme disait Bolicaille, on ne sait pas toujours tout de suite ce que ces évènements veulent dire.
— Et pis on finit par laisser passer le pus jeune cheval sans y compter les dents, qu’il ajoutait.
Mais les allusions du radoteux de Cocagne ne visaient pas particulièrement les évènements du Pont, s’étant toujours montré dédaigneux, le Bolicaille, pour l’histoire des côtes situées à une lieue au nord de son parallèle. Pourtant si Bolicaille avait voulu…
On ne mesure pas tout de suite la portée de chaque évènement, qu’il avait dit. Dans sa langue. Ça se traduisait à peu près par : Ah oui ? ben vous m’en reparlerez dans deux ans. Ou bien : Vous croyez ouère, vous, que le Vital parlait du beau temps avec le capitaine de la goëlette c’te soir-là ? Héh !
J’ai écouté Bolicaille et je me suis fait une mentalité. Et aussitôt le mois de juillet de Tom Thumb s’est mis à prendre des proportions. Les morceaux du casse-tête me sautaient aux mains et je raccommodais, et j’échafaudais, et j’insérais les évènements les uns dans les autres, et ça se mettait à ressembler à la vie, tout ça, la vie d’une paroisse qui n’avait aucune proportion avec tout le pays qui l’entourait. Et taisez-vous, Memramcook ! »
Je vais essayer de me trouver Pélagie-la-Charette !
Laurence Holvoet
« Les Cordes-de-Bois » d’Antonine Maillet. Grasset, 1977. 253 p.
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