La Surprise !
Avant de redonner place à la poésie elle-même en donnant la parole à nos invités, nous avons eu le très grand plaisir de réussir à entrer en contact avec le poète Darío Jaramillo Agudelo en direct de Bogotá grâce à une connexion en vidéo-conférence ! Si la qualité technique de l'image laissait un peu à désirer (c'était une première pour nous comme pour lui !), celle de l'échange qui a eu lieu a été, elle, vraiment très chaleureuse !
Passés les quelques instants de timidité réciproque, nous avons pu converser, mi en espagnol mi en français, Paula Cadenas et Dolores Panetier s'improvisant courageusement interprètes pour nous !
La première surprise pour Darío Jaramillo, c'est qu'en France on puisse réunir un vendredi soir à 21h tant de monde pour venir découvrir un poète colombien et parler du partage de la poésie ! A cette heure là en Colombie, les gens dînent en famille ou bien regardent la tv, nous a-t-il dit !
Nous lui avons ensuite fait part des réflexions que nous venions d'avoir autour de la diffusion et du partage de la poésie (cf article précédent), et il nous a confirmé qu'en Colombie la poésie se vit dès l'enfance et que cela lui confère une sorte d'évidence qui manque peut-être chez nous en France. Pour exemple, il a entonné un poème de Rafael Pombo, qui a été repris en cœur dans la salle à Montpellier par les Colombiens présents !
El renacuajo paseador
El hijo de rana, Rinrín renacuajo
Salió esta mañana muy tieso y muy majo
Con pantalón corto, corbata a la moda
Sombrero encintado y chupa de boda.
-¡Muchacho, no salgas!- le grita mamá
pero él hace un gesto y orondo se va.
Halló en el camino, a un ratón vecino
Y le dijo: -¡amigo!- venga usted conmigo,
Visitemos juntos a doña ratona
Y habrá francachela y habrá comilona.
A poco llegaron, y avanza ratón,
Estírase el cuello, coge el aldabón,
Da dos o tres golpes, preguntan: ¿quién es?
-Yo doña ratona, beso a usted los pies
¿Está usted en casa? -Sí señor sí estoy,
y celebro mucho ver a ustedes hoy;
estaba en mi oficio, hilando algodón,
pero eso no importa; bienvenidos son.
Se hicieron la venia, se dieron la mano,
Y dice Ratico, que es más veterano :
Mi amigo el de verde rabia de calor,
Démele cerveza, hágame el favor.
Y en tanto que el pillo consume la jarra
Mandó la señora traer la guitarra
Y a renacuajo le pide que cante
Versitos alegres, tonada elegante.
-¡Ay! de mil amores lo hiciera, señora,
pero es imposible darle gusto ahora,
que tengo el gaznate más seco que estopa
y me aprieta mucho esta nueva ropa.
-Lo siento infinito, responde tía rata,
aflójese un poco chaleco y corbata,
y yo mientras tanto les voy a cantar
una cancioncita muy particular.
Mas estando en esta brillante función
De baile y cerveza, guitarra y canción,
La gata y sus gatos salvan el umbral,
Y vuélvese aquello el juicio final
Doña gata vieja trinchó por la oreja
Al niño Ratico maullándole: ¡Hola!
Y los niños gatos a la vieja rata
Uno por la pata y otro por la cola
Don Renacuajito mirando este asalto
Tomó su sombrero, dio un tremendo salto
Y abriendo la puerta con mano y narices,
Se fue dando a todos noches muy felices
Y siguió saltando tan alto y aprisa,
Que perdió el sombrero, rasgó la camisa,
se coló en la boca de un pato tragón
y éste se lo embucha de un solo estirón
Y así concluyeron, uno, dos y tres
Ratón y Ratona, y el Rana después;
Los gatos comieron y el pato cenó,
¡y mamá Ranita solita quedó!
Il a aussi rappelé la dimension de lutte de la poésie sud-américaine, une lutte visant avant tout à célébrer la vie en dépit de sa dureté.
Nos invités lui ont demandé si, au delà du magnifique Festival de Medellín, la diffusion de la poésie passe aussi comme chez nous par la diffusion radiophonique et il nous a dit qu'à sa connaissance, non, très très peu d'initiatives vont dans ce sens. Il a invité ses collègues français à se rapprocher des responsables du Festival pour leur proposer des discussions et des rencontres sur ce thème.
François Szabó lui a posé quelques questions concernant la naissance de sa vocation de poète, et Darío a confirmé que ses parents, son père en particulier, avaient veillé à lui faire vivre un bain de littérature dès sa plus tendre enfance, ce qui a fait que l'écriture a toujours été une sorte d'évidence qui s'est imposée à lui...
S'en est suivi un moment de poésie où Jaramillo nous a dit quelques uns de ses poèmes... en voici deux parmi les quatre ou cinq qu'il a partagés avec nous !
Sabiduría del gato:
hacer pereza todo el día sin llegar nunca al tedio.
Materialización del gato:
cuando el gato se convierte en materia, saca las uñas.
Astucia del gato:
fingir que es un animal doméstico.
Silencio del gato:
los gatos guardan todos los secretos de la noche.
Misterios del gato:
todo en el gato es misterioso.
Tiré du recueil "Gatos" (2008)
Sagesse du chat :
paresser toute la journée sans jamais atteindre l'ennui.
Matérialisation du chat :
lorsque le chat devient matière, il sort les griffe.
Ruse du chat :
feindre d'être un animal domestique.
Silence du chat :
les chats gardent pour eux tous les secrets de la nuit.
Mystères du chat :
tout dans le chat est mystérieux.
(Trad. L. Holvoet)
Tu
voz por el teléfono tan cerca y nosotros tan distantes,
tu voz, amor, al otro lado de la línea y yo aquí solo, sin ti, al otro lado de la luna,
tu voz por el teléfono tan cerca, apaciguándome, y tan lejos tú de mí, tan lejos,
tu voz que repasa las tareas conjuntas,
o que menciona un número mágico,
que por encima de la alharaca del mundo me habla para decir en lenguaje cifrado que me amas.
Tu voz aquí, a lo lejos, que le da sentido a todo,
tu voz que es la música de mi alma,
tu voz, sonido del agua, conjuro, encantamiento.
tu voz, amor, al otro lado de la línea y yo aquí solo, sin ti, al otro lado de la luna,
tu voz por el teléfono tan cerca, apaciguándome, y tan lejos tú de mí, tan lejos,
tu voz que repasa las tareas conjuntas,
o que menciona un número mágico,
que por encima de la alharaca del mundo me habla para decir en lenguaje cifrado que me amas.
Tu voz aquí, a lo lejos, que le da sentido a todo,
tu voz que es la música de mi alma,
tu voz, sonido del agua, conjuro, encantamiento.
Tiré de "Poemas de amor" (1986)
Ta
voix au téléphone si proche et nous si loin l'un de l'autre,
ta
voix, mon amour, de l'autre côté de la ligne et moi ici seul, sans
toi, de l'autre côté de la lune,
ta
voix au téléphone si proche, qui m'apaise, et toi si loin de moi,
si loin,
ta
voix qui revient sur nos devoirs communs,
ou
qui mentionne un numéro magique,
qui
au delà de l'explosion du monde me parle pour dire en langage codé
que tu m'aimes.
Ta
voix ici, au loin, qui donne du sens à tout,
ta
voix qui est la musique de mon âme,
ta
voix, bruit de l'eau, exhortation, enchantement.
(Trad. L. Holvoet)
En échange, nos invités languedociens ont eux aussi partagé des textes avec lui, avec nous !
François Szabó nous a dit un poème de son recueil "Páginas de
invierno" (2001)
Un beso dado
por tus labios
Vuelve loco
los más sabios
Un beso
robado a tus labios
Y ya no podré
mas decir adiós
Que vuelvas
pa’ que no desaparezca
Que vengas
pa’ que por fin me conozcas
Ay lastima de
momentos hundidos
Ay lastima de
esos pasos perdidos
Nuestros
caminos han de cruzar
Debo seguir
tu olor de azahar
Michel Arbatz a, lui, convoqué Jacques Prévert et Son Orgue de Barbarie (recueil "Paroles")
Moi je joue du piano
disait
l'un
moi je joue du violon
disait
l'autre
moi
de la harpe
moi du banjo
moi
du violoncelle
moi
du biniou...
moi de la flûte
et
moi de la crécelle
Et
les uns les autres parlaient parlaient
parlaient
de ce qu'ils jouaient.
On
n'entendait pas la musique
tout
le monde parlait
parlait
parlait
personne
ne jouait
mais dans un coin un homme se taisait.
"Et
de quel instrument jouez-vous monsieur
qui
vous taisez et qui ne dites rien?"
lui
demandèrent les musiciens.
"Moi
je joue de l'orgue de Barbarie
et
je joue du couteau aussi"
dit
l'homme qui jusqu'ici
n'avait
absolument rien dit
et
puis il s'avança le couteau à la main
et
il tua tous les musiciens
et
il joua de l'orgue de Barbarie
et
sa musique était si vraie
si
vivante et si jolie
que
la petite fille du maître de la maison
sortit
de dessous le piano
où
elle était couchée endormie par ennui
et
elle dit:
"Moi
je jouais au cerceau
à
la balle au chasseur
je
jouais à la marelle
je
jouais avec un seau
je
jouais avec une pelle
je
jouais au papa et à la maman
je
jouais à chat perché
je
jouais avec mes poupées
je
jouais avec une ombrelle
je
jouais avec mon petit frère
avec
ma petite sœur
je
jouais au gendarme
et
au voleur
mais
c'est fini fini fini
je
veux jouer à l'assassin
je
veux jouer de l'orgue de Barbarie.
"Et
l'homme prit la petite fille par la main
et
ils s'en allèrent dans les villes
dans
les maisons dans les jardins
et
puis ils tuèrent le plus de monde possible
après
quoi ils se marièrent
et
ils eurent beaucoup d'enfants.
Mais
l'aîné
apprit le piano
le
second le violon
le
troisième la harpe
le
quatrième la crécelle
le
cinquième le violoncelle
et
puis ils se mirent à parler parler
parler
parler parler
on
n'entendit plus la musique
et
tout fut à recommencer !
Enfin, pour clore cette soirée qui a vraiment filé, Christian Malaplate nous a offert l'un de ses beaux textes...
DANS
LE GRAND SILENCE DE LA NUIT
Dans
le grand silence de la nuit, je marche vers des pôles imaginaires.
J’entre
dans un chant venu d’ailleurs avec le Verbe qui apaise les ondes.
Je
cultive mon jardin intérieur dans le fondement des couleurs
ciselées.
Je
capte les faisceaux des symboles en pénétrant dans les cercles de
la béatitude
Parmi
les eaux de la nuit des temps et la mémoire ancestrale des hommes et
des dieux.
Dans
le grand silence de la nuit, je rencontre des folies brûlantes,
Des
peines aux blessures insondables et les interrogations du regret.
Je
cherche à faire danser les mots dans le cri de la vie et dans les
miroirs sphériques.
Une
alchimie secrète naît entre le sens caché des choses et l’usure
des jours perdus.
Elle
efface lentement les cicatrices intimes et les départs inattendus.
Dans
le grand silence de la nuit, j’écoute les longs échos des voix
qui se sont tues.
Je
façonne les nervures des éclats émotionnels et des murmures du
cœur.
Je
navigue entre le pays natal et cette contrée sauvage où tout est
possible,
A
la recherche d’un monde nouveau, à la quête d’une terre
promise.
Mes
mains dessinent des figures fugitives et des fabuleux bestiaires
enluminés.
Dans
le grand silence de la nuit, les grands vents semeurs de palabre,
Voyagent
parmi les brisures d’étoiles et les lunes tentaculaires.
Des
morceaux de musique s’accrochent à des visages aimés, à des
souvenirs inachevés.
Des
ombres évanescentes dansent dans le reflet d’une lune rousse.
Elles
se transforment en étranges clapotis puis elles partent dans une
sarabande échevelée.
Dans
le grand silence de la nuit, je voyage dans des brumes parfumées,
Dans
des galeries translucides, dans des espaces mobiles et dans des
sanctuaires animaliers.
Les
cercles s’agrandissent. J’entre dans la nuit profonde, hors des
limites humaines.
Je
deviens un buveur d’horizon qui traîne sur les chemins de
l’errance et de l’exil.
Il
y a la terre des origines, le soleil des solitudes et tous les
ferments de discordes.
Dans
le grand silence de la nuit, je nage dans les eaux du secret, dans
les eaux de l’alchimie intérieure,
Dans
les eaux métamorphosées de l’inconscient et dans les eaux
primordiales du monde.
Je
chemine dans l’univers des ondes vers les langues de feu et les
illuminations de l’esprit.
Je
traverse des territoires étranges, des cités interdites, des forêts
symboliques,
Des
enclos d’innocence, des domaines d’amour et des lieux de
contemplation absolue.
Dans
le grand silence de la nuit, je pose mes mains sur des crânes.
J’entre dans un humble apostolat.
J’égrène
des phrases apocryphes, des mots cartographiques et des attentes
salvatrices.
Je
parlemente avec des bruits avant-coureurs. Je dénude mes saveurs
éduquées.
Je
bois tous les sucs et toutes les sèves de mon jardin secret
Avant
d’entrer dans des cathédrales de lumière et de suivre les chemins
de jouvence.
Dans
le grand silence de la nuit, je découvre le passage du dense au
subtil,
De
la matière à l’esprit, le courant de la vie, de la mort et celui
de la conscience.
Je
devine l’arbre de vie qui a pour sève la rosée céleste et
l’harmonie parfaite.
Je
porte dans mes bras la gerbe de blé qui symbolise la fécondité
de la terre.
Je
décortique mon âme, je sais que la lumière de l’aube approche.
Voilà, ce sont les mots sur lesquels nous nous sommes quittés un peu à regret ! Mais, pas d'inquiétude : nous saurons nous retrouver à d'autres occasions !
L'AFCM remercie tous nos invités et le public pour leur présence chaleureuse et passionnante...
Pour voir la vidéo de cette soirée, rendez-vous sur le site de notre asso :
http://amitiesfrancocolombiennesmontpellier.fr/
L'AFCM remercie tous nos invités et le public pour leur présence chaleureuse et passionnante...
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