samedi, octobre 24, 2015

"A toi", de Claudia Piñeiro (Argentine), traduit par Romain Magras

Il suffira d’un petit mot griffonné avec un bâton de rouge à lèvre qui dit “à toi” pour qu’Inès découvre que son mari Ernesto a une aventure extra-conjugale. Une aventure qui ne doit pas être la première et qu’elle s’efforce de trouver bien compréhensible, excusable même, car il ne l’a pas quittée pour autant. Tant que les apparences sont sauves et qu’il n’y a pas de drame spectaculaire… L’autre, c’est apparemment la secrétaire de son mari. Poussée par une irrésistible curiosité, Inès va cependant suivre celui-ci sur l’un de ses rendez-vous nocturnes… pour assister au meurtre accidentel de sa rivale !



Dans une famille exemplaire de la bourgeoisie aisée de Buenos Aires, il va falloir cacher les choses. Disparition des preuves, à commencer par le corps, fabrication des alibis… heureusement qu’Inès est là pour sauver ce couple et cette famille si convenable. Une épouse et mère  “modèle” dont on découvre petit à petit le peu d’estime dans laquelle sa fille et son époux la tiennent. Un couple bien convenable qui est aussi passablement égoïste et centré sur lui-même. Un couple qui semble plutôt bien désuni malgré les apparences et qui ne voit rien de ce qui arrive à leur fille, Laura dite Lali. Lali qui se retrouve bien seule pour faire face à ce qui lui arrive et qui va radicalement transformer sa vie
 
Claudia Piñeiro / photo Ricardo Ceppi, El País
Avec un sourire malicieux et passablement cruel, Claudia Piñeiro lève le voile sur des secrets de famille et de couple et fait glisser les portes du dressing où pourrissent les cadavres. Méfiez-vous des cadres si comme il faut et de leur épouses discrètes, un peu “nunuches” mais si parfaites dans leur rôle de femme à la maison, d’épouse et de mère irréprochables : leur paradoxale indifférence égocentrique aux autres peut les conduire à des extrêmes qui font frémir.
L’écriture de ce récit des coulisses des charmes discrets de la bourgeoisie argentine, mais qui pourrait être de bien d’autres pays, a une dimension et une qualité cinématographique ou théâtrale indéniable. Le style sans affèteries sait mettre le récit au premier plan, nous emmenant sans hésitation ni précipitation vers le dénouement d’une comédie noire où il ne finit peut-être que par y avoir des victimes. Des victimes de la bienséance et des apparences, des conventions et stratégies sociales bourgeoise qui ne sont pas que l’apanage d’une certaine bourgeoisie, loin s’en faut.
L’édition espagnole, chez Alfaguara
 
C’est au milieu des années 2000 que le public argentin découvre Claudia Piñeiro avec son roman Les Veuves du jeudi qui remporte le prix Clarín en 2005. Deux livres jeunesse avaient précédé de peu cette publication et aujourd’hui l’auteure en est à son huitième roman avec Una suerte pequeña paru en Argentine et en Espagne cette année. Une œuvre conséquente que complètent cinq pièces de théâtre. A toi est le quatrième opus qu’Actes Sud nous permet de découvrir après Les Veuves du jeudi, Elena et le roi détrôné et Betibou.

Marc Ossorguine
Billet initialement publié sur le blog Fils de Lecture

"A toi" de Claudia Piñeiro, traduit de l’espagnol (Argentine) par Romain Magras, Actes Sud, 2015 (Tuya, 2005)



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