Roman poétique et sensible.
C’est le récit d’une saison dans un refuge de vie sauvage au Canada, par les yeux et l’âme d’une voyageuse en (dé)route qui, accueillie par les deux responsables du site, fait une pause.
C’est une ode à la vie foisonnante loin des villes et au milieu des arbres. Une tentative d’inventer de nouveaux langages pour évoquer des perceptions subtiles et primordiales.
À lire !
Laurence Holvoet
"Border la bête" de Lune Vuillemin. La Contre Allée, 2024. 192 p.
Extraits :
(page 54)
"— Toi, à quoi es-tu attentive quand tu es seule en forêt ?
— Je crois que je ne marche jamais seule en fait. Il y a toujours des présences avec moi, qui m'empêchent de bien regarder, d'écouter. Mais, comme ça, je dirais que la forêt c'est l'endroit où les corbeaux rigolent, où des animaux de passage que l'on ne voit jamais laissent une odeur que la neige ne recouvre pas, et puis ce... ce son, que je n'arrive pas à définir. Un quasi-silence qui est tout sauf un silence. Mais ce n'est pas un bruit non plus. Tu vois de quoi je parle ?
Jeff hoche la tête. Lui non plus ne parvient pas à tout à fait mettre des mots sur ce mélange de sons et de non-sons.
— C'est un peu comme si le monde autour avait un acouphène qu'on pouvait entendre, tu ne trouves pas ?
— Ah non, encore mieux, c'est comme si on marchait dans l'oreille de la forêt. Tu connais l'histoire du coquillage dans lequel on entend en fait la musique de l'intérieur de notre propre corps ? En forêt on est dans le coquillage, mais l'oreille qui écoute, c'est la forêt et nous... nous on...
— Tu veux dire que la forêt nous prête son oreille ?
— Non, je pense qu'on ne saurait pas quoi en faire. Je ne suis pas sûre qu'on sache écouter comme la forêt. En forêt j'entends des sons, des sons d'ailleurs, qui se réverbèrent dans le paysage. Tu vois, c'est sur dur à expliquer, c'est pour ça qu'il nous faut inventer des mots."
(page 93)
"Arden me regarde. Longtemps on se regarde sans rien dire. Je sens le désir à l'intérieur qui ouvre grand la bouche et chante comme un acouphène. Entre le désir et le courage, il y a la boule de tourbe qui s'accroche, ce parasite, à l'écorce de ma trachée. La neige ne nous écoute pas, nous tombe dessus et Arden sourit. Un sourire que je ne parviens pas à lire, comme d'habitude. Elle sais ce que j'ai sur le bout de la langue mais elle va me laisser dans ma peur, ma peur qu'elle réponde non à cette question que je n'ose pas poser. Je suis là, avec mes mains qui dégoulinent du sang d'animaux morts, ça goutte sur le sol qui craque. Alors je me dis que si c'est le mot non qui me fait peur je dois transformer ma question en une phrase sans point d'interrogation.
— Je voudrais rencontrer les coyotes. Avec toi.
L'instant s'écoule, une forme d'apaisement glisse en moi, la fierté d'avoir osé, et j'oublie presque qu'elle peut tout aussi bien ignorer mon souhait et partir sans moi. Le froid m'enfonce ses aiguilles dans les doigts.
— Lave-toi les mains et couvre-toi, me dit Arden. On part dans cinq minutes."
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