jeudi, mai 31, 2012

Falke, de Federico Vega



Falke : raconter l’Histoire à partir d’un échec

Une petite maison d’édition mexicaine publie, en 2004, Falke : roman d’un jeune auteur vénézuélien, Federico Vegas. Un livre très bien accueilli, puisqu'il sera en 2005 un succès de librairie et deviendra rapidement une référence de la littérature vénézuélienne actuelle.

Federico Vega part d’un épisode historique vénézuélien : l’insurrection d’un groupe d’exilés contre le dictateur Juan Vicente Gómez, dirigée par Román Delgado Chalvaud en 1929. Falke est le nom du navire allemand où voyagera un équipage de plus de cent hommes, 2000 fusils, 1288 boîtes de munitions et 2 millions de cartouches, depuis les côtes de la Mer du Nord jusqu'aux Caraïbes vénézuéliennes. Les témoignages de cette aventure conspiratrice sont multiples: extraits des journaux intimes, mémoires, lettres, biographies, articles de presse et chapitres de livres d’Histoire. C’est à partir de toute cette documentation que l’auteur construit un récit à la première personne : celle de Rafael Vega, son oncle, un personnage captivant. Le jeune étudiant en médecine à Paris, intelligent, sensible, d’un corrosif esprit critique, donne au roman une autre dimension, une conscience de l’échec, une lucidité de l’ombre qui manque justement à une tradition trop peuplée de héros.
Ainsi, un épisode de l’Histoire du début du vingtième siècle vénézuélien sert de point de départ pour construire une autre histoire, celle qui n’a jamais été représentée dans aucun manuel du Venezuela post-gomeciste : c'est l’exploration d’une aventure plutôt ‘quijotesca’, davantage que la célébration d’une expédition héroïque. L’auteur se sert d’un cadre historique pour faire démarrer le récit. Il nous raconte le départ, la formation du groupe - la junta libertadora, qui contient plusieurs références aux discours de Simón Bolívar -, la vie des protagonistes, un groupe de jeunes étudiants et vieux expatriés vénézuéliens à Paris, qui favorisent l’engagement du lecteur dans le voyage. C’est en suivant avec humour toutes les démarches précédant ce départ, ces petits événements qui n’ont justement pas été décrits dans le discours historique officiel, que le lecteur commence à se sentir complètement pris par l’effet de réel et, là, en pleine mer, semble se libérer la fiction. Le lecteur s’embarque dans l’inconnu jusqu'à l’arrivée du bateau près des côtes vénézuéliennes ; c’est aussi le début d’un drame majeur pour les apprentis héros et les vieux exilés qui dirigent l’expédition. Le Venezuela du début du XXe siècle, comme le Mexique de la Révolution, est un pays rural, ignorant, mais aussi pluriel, qui ne peut pas être libéré car n’y habite pas encore l’idée de nation.
Falke, où l’histoire se libère dans les espaces de la fiction pour nous délivrer de nouvelles possibilités de rapprochement, où les lecteurs sont invités à participer, comme dans un bon roman d’aventures, mais aussi à se retrouver psychologiquement. Un roman qui voyage dans la mémoire, explore l’absurde et se rapproche du présent pour articuler une communauté dans l’acte de raconter.

Paula Cadenas

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