(Camelia Ediciones, Caracas, 2012)
Dans Dibujos a máquina, ce sont les
caractères de sa machine à écrire qui ont inspiré le poète vénézuélien Rafael
Cadenas. Chaque lettre, chaque signe lui parle, il les met en scène et il nous
traduit ce qu'ils lui disent de façon très ludique et laconique.
Par exemple, le I majuscule lui dit “Me
levanto”, “Je me lève”, le g minuscule lui dit “Me enrollo”, “Je
m'enroule”, le O majuscule, “Me asombro”, “Je suis ébahi”, etc.....
Il y a d'abord des caractères seuls et
puis viennent des compositions dans lesquelles certains signes deviennent même
des personnages à part entière, telle l'astérisque *... Par exemple, un
astérisque entourée par des 6 et des 9 lui évoquent “estrella sometida a un
terrible bloqueo” “Étoile soumise à un terrible blocus”...
En filigrane, les préoccupations de
Rafael Cadenas ressortent ; les thèmes tels que le militarisme, la
répression, la résistance – surtout celle de l'esprit – et le voyage
affleurent, mais tout cela reste très ludique, enfantin.
Dans le prologue qui accompagne cette
édition - ces dessins avaient été initialement publiés dans la revue CAL
(Critica, Arte y Literatura) en 1966 -, Luis Miguel Isava nous rappelle que, à
l'origine, écriture et représentation de la chose “écrite”, avec les
hiéroglyphes et autres idéogrammes, étaient très souvent liées. C'est Hegel qui
a évacué ces écritures figuratives en jugeant que seule l'écriture alphabétique
était « en soi et pour soi la plus intelligente ». Pourtant la
résistance a toujours existé : des épigrammes grecs, en passant par les livres d'emblèmes
et certains poèmes baroques, on arrive au 20ème siècle avec les calligrammes
d'Apollinaire et bien d'autres formes poétiques visuelles élaborées par
certains poètes post avant gardistes. Avec cet album, Rafael Cadenas rejoint
cette famille de résistants. Dans sa biographie on peut lire qu'“En poésie
comme dans sa vie, ce qui lui importe, c'est la véracité. C'est à dire la
correspondance entre les mots et ce que l'on ressent, et [que] ça, cela demande
de la vigilance.” Ici, dans Dibujos a máquina, ce sont donc les lettres
et les caractères eux-mêmes qui lui parlent, et qui nous parlent. LM. Isava
appelle cela la « pulsion visualisante » de l'écriture !
En avril 2013, cet album a remporté le
premier prix du concours de Los mejores
libros juveniles del Banco del Libro – Caracas - 2013 (https://www.facebook.com/notes/banco-del-libro/veredicto-jurado-juvenil-2013/597247250288337 ).
Et, de fait, cette lecture est très
ludique, même pour des francophones ! Mon fils de dix ans l'a volontiers
faite avec moi. La langue utilisée est concise. Chaque page compte entre un et
dix mots tout au plus : un non-hispanisant se laisse prendre au jeu de
deviner ce que disent ces mots, s'appuyant à la fois sur la phonologie et sur
le dessin. Il est d'ailleurs fort à parier que ce langage poétique soit
davantage familier aux enfants et aux jeunes gens déjà adeptes des jeux de
caractères via les sms et les échanges « claviers » sur les réseaux
sociaux qu'à leurs parents !
Lecture proposée
par Laurence Holvoet (30/11/13)
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