vendredi, juillet 24, 2015

« Coupable vous êtes », de Lorenzo Lunar (Cuba)

Contemporain de Padura, Lorenzo Lunar est lui aussi un auteur de polars cubains. Son terrain n'est pas la Havane, mais la ville de Santa Clara – dont il est originaire et où il tient une librairie -, à 300km de la capitale, au centre de l'île. La petite chanson de Lorenzo Lunar est donc assez semblable à celle chantée par Padura.

L'intrigue policière de « Coupable vous êtes » est
classique et ne m'a pas attrapée plus que ça, mais le style et la peinture sociale, eux, si ! L'écriture de Lunar est très poétique, très rythmée (et la traduction en français de Morgane Le Roy réussit à bien la transcrire !).
Ici, le policier s'appelle Leo Martin, et les suspects sont tous des personnes qu'il côtoie au quotidien et dont il découvre les petits et grands travers. Avoir lu « Coupable vous êtes » juste après « Pasado perfecto » a donné à ma lecture une résonance particulière, j'ai aimé, c'était comme de rencontrer un livre-frère à la hauteur de l'aîné, six ans les séparant ! Deux écrivains, et surtout deux romans complémentaires en somme…
Ici aussi, le passé de l'enquêteur s'invite dans l'intrigue, ici aussi, les masques tombent, ici aussi, la vie quotidienne cubaine des vingts dernières années est peinte avec efficacité…

A découvrir donc ! Et je l'ai lu en une journée… A noter que ce roman-ci est le troisième de la série des polars Leo Martin, il me reste donc à découvrir les deux premiers, « Boléro noir à Santa Clara » et « La vie est un tango » !

Quelques extraits pour la route…

P. 11
« Dans le quartier, la mort est chose quotidienne.
Rien de plus naturel à ça.
Les gens meurent à n'importe quelle heure, dans le quartier : le matin, l'après-midi, la nuit.
Les gens meurent, tout simplement.
D'un cancer, d'une leucémie, d'une cirrhose, de tuberculose, d'anémie, du sida…
D'une cuite, de froid, de vieillesse…
Les gens se suicident, dans le quartier : ils se coupent les veines, avalent de la mort aux rats, se pendent, s'immolent par le feu, se jettent dans un puits…
Les gens du quartier se tuent à coups de couteau. Se sabrent à coups de machette. S'affrontent à coups de pierres, de briques, de feu.
Et personne ne s'en étonne, parce que la mort, dans le quartier, est chose quotidienne. Un lieu commun. »


Pp. 61-62
« Je rends parfois visite à Tania.
Depuis l'affaire de Maikel et Pedro Pechoemulo, dans laquelle Tania a été, d'une certaine manière, impliquée, je me suis mis à aller la voir assez régulièrement.
Chaque fois que je vais chez elle, elle me garantit deux choses : qu'on ait une bonne bouteille de rhum, de marque, et que sa mère ne soit pas là.
« J'aime bien rester toute seule avec toi », dit-elle.
Moi aussi, j'apprécie les têtes à têtes avec Tania.
Elle met un disque, pas trop fort, et nous buvons en silence, écoutant la musique.
On discute à peine. Tania et moi, on n'a pas de sujet de conversation. On sait tous les deux que faire allusion au passé est source de souffrance et que parler du présent n'en vaut pas la peine. L'avenir, nous en avons peur. Il est incertain. Alors, on parle peu.
On se regarde en écoutant des boléros tristes. Des chansons désespérantes et d'un autre âge. Presque chaque fois, on arrive à faire durer la bouteille plus longtemps que la normale. On passe des heures ensemble, en silence.
C'est toujours moi qui finis le dernier verre. Ensuite, je me lève et elle me raccompagne jusqu'à la sortie.
Tania se met sur la pointe des pieds et me dépose un baiser sur la joue, près de la bouche. Un frôlement de ses lèvres qui me fait frémir jusqu'à la moelle.
« Reviens vite », me dit-elle avant d'ouvrir la porte.
Je sors de chez Tania aussi furtivement qu j'y entre. Tentant d'esquiver inutilement les regards des vieux du quartiers. Ignorant les sourires entendus des vagabonds qui ont improvisé une partie de chapa avec des capsules de bouteilles sur le trottoir. Pensant déjà à la prochaine fois. »


Pp. 73-75
« Il fait déjà nuit lorsque je rentre chez moi. De la télévision sort une voix guindée et teintée d'une passion par trop théâtrale. Fela regarde le journal de vingt heures.
« Ils disent qu'ils vont donner un demi-litre d'huile de soja par personne à partir du mois prochain », me dit-elle quand je viens l'embrasser.
Depuis que la période spéciale a commencé, ma mère ne pense qu'aux stratagèmes auxquels elle doit recourir pour mettre quelque chose sur la table. Elle a déjà expérimenté un tas de recettes alternatives – du hachis de peaux de bananes, des écorces de pomelo panées aux allures d'escalopes. Tous les deux jours et avec un stoïcisme olympien, elle fait la queue devant la rudimentaire presse à hamburger pour pouvoir, carte d'identité en main, acheter des steaks hachés à base de soja, de sang de taureau et de viande maigre. (…)
« - Comment tu te sens ? je lui demande.
- Je n'ai plus de fièvre. Mariela est passée me dire qu'elle avait trouvé une solution pour que je passe une radio demain. »
Trouver une solution, l'expression clef depuis le début de la période spéciale.
Trouver une solution pour bouffer.
Pour se saper, pour se chausser.
Pour dégoter des tickets, quelle que soit la destination sur lîle.
Pour les rendez-vous médicaux.
Se casser le cul et la nénette, trouver une solution à tout. Se démerder, à n'importe quel prix. Et par tous les moyens.
Sous la douche, j'entends ma mère me raconter, entre de brèves quintes de toux, le nombre de démarches que Mariela a dû entreprendre afin de lui trouver une place en radiographie. Que, grâce à Dieu, le chef de consultation externe de l'hôpital provincial, un certain Charlie, était un camarade de Mariela à l'université, et que le type est intervenu personnellement dans l'affaire. »



« Usted es la culpable », de Lorenzo Lunar, Almuzara, 2006.
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