Texte
d'actualité traduit et reproduit pour Version Libre avec la très
amicale autorisation de l'auteur !
Empathie,
de Víctor
Del Árbol
28
août 2015
Je
ne peux pas éviter une certaine sensation d'imposture en commençant
ce billet. Parler de la souffrance d'autrui en écoutant Mozart - Symphonie n°25 -, les pages du journal furieusement froissées et jetées par terre, c'est presque un exercice de trahison.
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Je ressens souvent
quelque chose comme ça lorsque je rencontre en France ou en Espagne
des enfants et petits-enfants de ceux qui furent les protagonistes du
grand exode que nous appelons chez nous "la Retirada" [la
Retraite] et qui a jeté des centaines de milliers d'Espagnols vers
la frontière française à la fin de la Guerre Civile. Ils me
montrent des photos en noir et blanc de grands-parents et
d'arrières-grands-parents, de pères et d'oncles, de mères et de
sœurs aînées ... Aucun d'entre eux n'est plus là, et je me rends
compte de l'effort que font leurs descendants pour les maintenir
reliés à eux-mêmes en racontant ce qu'ils furent. La mémoire est
un film que nous nous passons une fois, puis que
nous nous repassons, et auquel
nous apportons chaque fois de nouveaux
détails
pour lui donner forme, elle n'est jamais inaltérable.
Je
lis des livres, des revues, j'écoute des enregistrements, j'écris,
je réfléchis, je cherche et je recherche, je vais sur leurs tombes,
sur leurs plages, dans leurs villes... Et je sens que je ne suis pas
avec eux, que la souffrance qu'ils ont ressenti dans ces années-là
est si terrible que je ne pourrai jamais la revendiquer quel que soit
le nombre de lettres manuscrites, de sentences de mort, de jugements
qu'ils me montrent. Et ces documents continuent à affluer, et je
continue à les lire.
Comment
ressentir de l'empathie pour la douleur au point de la comprendre
sans user de compassion mais de fraternité ? La compassion est
une bonté trompeuse. Elle nous place au dessus de celui qui souffre,
elle nous fait croire que nous sommes à l'abri et que nous pouvons y
consacrer une part de nous même, de notre temps, de notre
solidarité. La fraternité, c'est autre chose. La fraternité nous
entraîne, avec elle nous faisons nôtre la souffrance de l'autre
parce que nous savons que nous sommes pareils, qu'aujourd'hui c'est
toi, et moi avec toi, qui poussons ta fille de quelques mois sous une
clôture de fil de fer barbelé pendant que des policiers t'aspergent
de gaz. Tu ressens cette angoisse et cette peur au présent – le
futur n'existe pas - ; la nuit, tu rêves des bombes qui
pleuvent sur Alep, sur les marchés de Bagdad, tu redoutes tout ce
qui porte un uniforme et un fusil ; tu es indigné par les
mensonges des journaux qui te convertissent en problème quand tu
n'es comme tant d'autres qu'un homme ou une femme avec une vie que la
guerre et d'autres choses que tu n'arrives pas à comprendre ont
déglinguée.
Voir
mourir des dizaines d'êtres humains dans un camion de boucherie et
les voir abandonnés sur une aire d'autoroute en Autriche, abandonnés
pendant des semaines, jusqu'à ce que les corps pourrissent. Et
penser que ce sont des êtres humains ceux qui vous ont mis dans ce
camion, ceux qui vous ont laissé mourir. Le chauffeur, le passeur,
l'intermédiaire. Des hommes, des femmes, qui ont des enfants, et une
vie.
Mon
fils veut être ingénieur, mais l’État Islamique veut en faire un
taliban. Ma fille veut connaître l'amour mais la tradition exige de
lui amputer le clitoris, je suis chrétien mais en Érythrée on
m'empêche de prier ; je suis homosexuel et en Irak je suis
condamné à mort. J'aime lire Nietzche mais c'est un sacrilège en
Érythrée. Je ne suis qu'un homme qui ne veut ni se battre ni saisir
une arme...
J'ai
les pieds en sang, ma fille est fiévreuse, les criminels viennent me
racketter la nuit, le soldat de la frontière veut coucher avec moi
en échange de mon passage. Les journalistes m'interrogent et
m'expliquent comment me tenir devant la caméra, les politiques
arrivent en voiture blindée et me donnent une petite tape dans le
dos. Les humanitaires, ces jeunes gens européens et américains,
s’époumonent pour me trouver de l'eau et font que je ne perds pas
espoir. La nuit, je demande à Dieu, si jamais il existe, qu'arrive
enfin un jour où tout cela aura valu la peine. Je ne veux pas
entendre ceux qui disent qu'en Allemagne ils sont en train
d'incendier des abris. Non, c'est là-bas que je vais, et j'aurai un
travail et une dignité, et mes enfants seront heureux... ils auront
le bonheur que je n'ai jamais eu.
Vous
ne comprenez donc pas ? Je ne veux pas de votre compassion. Je
suis une femme qui veut vivre, je suis un homme qui ne veut pas
ressentir la honte en regardant ses enfants, je suis un enfant qui
veut un ballon de Messi, je suis une jeune fille qui joue du violon.
Je suis un vieux qui ne veut pas mourir entre des clôtures de fil de
fer barbelé. Je suis comme toi. Je suis toi.
Traduit
par Laurence Holvoet
pour Version Libre (Les Collecteurs) 31/08/2015
Empatia,
de
Víctor Del Árbol
28
de agosto, 2015
No
puedo evitar cierta sensación de impostura al empezar a escribir
esta entrada. Hablar del sufrimiento de otros escuchando a Mozart
–sinfonía 25 – con las páginas del periódico arrugadas
violentamente y arrojadas al suelo resulta casi un ejercicio de
traición.
Algo
así he sentido muchas veces, cuando me he entrevistado en Francia o
en España con hijos y nietos de aquellos que protagonizaron el gran
éxodo que nosotros llamamos la Retirada y que empujó a cientos de
miles de españoles hacia la frontera gala al terminar la guerra
civil. Me enseñan fotografías en blanco y negro de abuelos y
bisabuelos, de padres y tíos, de madres y hermanas mayores…Ninguno
de ellos está ya, y yo me doy cuenta del esfuerzo que hacen sus
descendientes para retenerles junto a ellos con el relato de lo que
fueron. La memoria es una película que pasamos una y otra vez, que
vamos matizando para darle forma, que nunca permanece inalterable.
Leo
libros, revistas, escucho las grabaciones, escribo, reflexiono, busco
e indago, viajo a sus tumbas, a sus playas, a sus ciudades…Y siento
que no estoy con ellos, que el sufrimiento que padecieron en aquellos
años es tan terrible que no podré asumirlo por más cartas
manuscritas, sentencias a muerte, actas de juicios que me muestren. Y
siguen llegando, y yo sigo leyéndolas.
¿Cómo
empatizar con el dolor hasta el punto de entenderlo sin uso de
compasión sino con fraternidad? La compasión es una bondad
engañosa. Nos coloca por encima del que sufre, nos hace creer que
estamos a salvo y que estamos en condiciones de ceder parte de
nosotros, de nuestro tiempo, de nuestra solidaridad. La fraternidad
es otra cosa. La fraternidad nos impele, hacemos nuestro el
padecimiento del otro porque sabemos que somos iguales, que hoy eres
tú y yo contigo el que arrastra a tu hija de pocos meses bajo una
alambrada de espino mientras policías te lanzan gases. Sientes esa
angustia y ese miedo por el presente –no existe el futuro –;
sueñas por las noches con las bombas cayendo en Alepo, en los
mercados de Bagdag, temes a cualquiera que use uniforme y un fusil;
te indignas con las mentiras de los periódicos que te convierten un
problema, cuando solo eras como tantos, un hombre o una mujer con una
vida que la guerra y cosas que no llegas a comprender truncaron.
Ver
morir a una decena de seres humanos en un camión de carne y ser
abandonados en una autopista de Austria, durante semanas abandonados,
hasta que los cuerpos se pudren. Y pensar que son seres humanos los
que te han metido en ese camión, los que te han dejado morir. El
conductor, el traficante, el intermediario. Hombres, mujeres con
hijos, con una vida.
Mi
hijo quiere ser ingeniero pero el EIS quiere hacerle talibán. Mi
hija quiere conocer el amor pero la tradición dice que hay que
amputarle el clítoris, yo soy cristiano pero en eritrea me impiden
rezar; soy homosexual y en Irak estoy condenado a muerte. Me gusta
leer a Nietzche pero eso es sacrilegio en Eritrea. Yo solo soy un
hombre que no quiere luchar ni empuñar un arma…
Los
pies llagados, mi hija con fiebre, los criminales que vienen a
extorsionarme por la noche, el soldado de frontera que quiere
acostarse conmigo a cambio de dejarme pasar. Los periodistas que me
preguntan y me dicen cómo debo ponerme ante la cámara, los
políticos que aterrizan en coches blindados y me dan una palmadita.
Los voluntarios, estos chicos y chicas europeos y americanos que se
desgañitan para conseguirme agua y que me hacen no perder la
esperanza. Por las noches le pido a Dios si aún existe que algún
día todo valga la pena. No quiero escuchar a esos que dicen que en
Alemania están quemando albergues. No, allí es a dónde voy, y
tendré un trabajo y dignidad y mis hijos serán felices…la
felicidad que yo no tuve.
¿No
lo entienden? No quiero su compasión. Soy una mujer que quiere
vivir, soy un hombre que no quiere mirar a sus hijos avergonzado, soy
un niño que quiere un balón de Messi, soy una niña que toca el
violín. Soy un anciano que no quiere morir entre alambres de espino.
Soy como tú. Soy tú.
¡Muchas gracias, Víctor por tus palabras tan justas!
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