Rouvrant
une enquête initiée par d’autres et notamment par Leonardo
Sciascia (« la scomparsa de Majorana » 1975), Jordi
Bonells – catalan français - s’interroge sur la disparition, en
1938, du brillant physicien italien, Ettore Majorana, dans un petit
livre passionnant.
Majorana
s’est-il noyé en mer comme cela a été officiellement annoncé à
l’époque ? S’est-il réfugié dans un monastère comme le
suggère Sciascia ? Ou a-t-il « disparu » en
Argentine comme d’autres le pensent, dont un ami de Jordi Bonnels
qui lui demande d’enquêter sur le sujet, à l’occasion d’un
voyage qu’il doit faire à Buenos Aires. Cette recherche est
d’abord anecdotique, il trouve quelques pistes, obtient à peu près
la preuve que Majorana s’est bien réfugié en Argentine, à
Buenos Aires mais tout reste très flou.
Rentré
en France, il reprend ses activités universitaires mais peu à peu ce
personnage s’insinue en lui et finit par l’obséder. Tant et si
bien qu’il demande une mise en disponibilité et repart, mû par
l’impérieuse nécessité d’élucider ce mystère. Et cette
recherche qu’il mène pas à pas dans cette capitale en perpétuel
évolution, où des lieux disparaissent quand d’autres gardent les
traces du passé, cette recherche donc, devient alors presque un
quête métaphysique. Pourquoi cet homme s’est-il volontairement
effacé, pourquoi est-il devenu un autre ? Qu’est-ce qui peut
pousser un homme à disparaître? Question angoissante, encore plus
dans un pays où l’on a fait disparaître tant de gens, où sont
venus se réfugier tant de criminels nazis.
À cette question, Béatrice Geller, épouse de disparu, répond
ceci : « La disparition de Luis Alfredo… ne peut
pas être du domaine du souvenir… Non monsieur, elle fait encore
partie de ma réalité quotidienne. Non que je sois dans l’attente
absurde de le voir réapparaître. Je sais qu’il a disparu pour de
bon. Mais désormais, chaque mort absurde me renvoie à lui, et avec
ça, l’idée insoutenable qu’en allant faire mon marché, en
flânant avenida Santa Fé ou dans les jardins de Palermo, au cinéma,
au restaurant, je puisse, sans le savoir, croiser quelqu’un qui…
qui… pourrait… qui aurait pu y être mêlé… qui pourrait
savoir… me dire comment cela s’est passé… Elle ne me quitte
pas cette pensée. » (p139)
Et
Majorana, pourquoi ? S’il n’affirme rien, Jordi Bonells nous
donne quelques pistes, à travers d’abord une remarque de Witold
Gombrowicz qui joue souvent aux échecs avec Majorana et dit de lui
qu’il est un « remord ambulant ». De quel remord
s’agit-il, nous ne le saurons pas. Peut-être est-ce ceci :
«Il vivait dans l’attente d’une voix venue de derrière qui au
moment le plus inattendu lui dirait : Un momentito señor. Pour
lui demander des comptes. Une voix que nulle disparition ne pouvait
faire taire…car c’était la sienne ».
Nous
apprendrons finalement ce qu’il est advenu de Majorana, une sorte
d’ironie de l’Histoire mais que je ne dévoilerai pas !
Françoise
Jarrousse
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