"La vague qui vient" de Daniel Fohr (France)

 

Comment résister à un roman dont le deuxième chapitre s'intitule « 70 000 ans plus tard » ?! J'ai adoré « La vague qui vient », de Daniel Fohr.  Le narrateur arrive dans l'île où il possède une petite maison dotée d'une chaudière en panne, par une nuit de novembre glaciale, lesté d'un sac, d'une valise dont les roulettes se coincent et du poids d'un échec récent. Bientôt, le maire du village proche lui propose un projet, un chantier… habiller la salle des fêtes d'une fresque qui devra faire parler, attirer les touristes et témoigner de l'ambition culturelle des habitants. Tope-là ! Il n'a pas tellement le choix, vu le délabrement de ses finances et de son moral. À partir de cette décision, nous attendons la Révélation de l’œuvre concoctée en secret pendant les six mois suivants.

J'aime les références du narrateur, sans doute parce qu'elles sont miennes ! La tarte à la crème nietzschéenne dont raffolent les réseaux sociaux « Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort » n'est pas, si j'ose dire, sa tasse de thé ! (la mienne non plus) : « Ce qui ne vous tue pas vous mine, vous ronge, vous use […] crée de l'angoisse, du stress, de la dépression, […] des ulcères, des cancers et des douleurs musculaires. » Il évoque Pierre Bonnard qui allait retoucher en cachette ses propres tableaux dans les musées, et on se sent tout petit parce que souvent on voudrait être Bonnard, retoucher sa vie, ses images, ses écrits… Au milieu de taxonomies rigolotes (ou taxinomies ? J'ai empoigné le dictionnaire : on peut dire les deux !), bref, de classifications quasi-oulipiennes – les différentes catégories de végétaux, d'objets-souvenirs, de randonneurs, de châtiments, etc. –, il glisse un aphorisme, par ex. : « Les rituels permettent de ne pas sombrer dans la folie, même si la différence entre un rituel et un trouble obsessionnel compulsif comportemental n'est pas si facile à établir. »

Malheureux « Nartiste » ! Tout l'afflige et lui nuit, et conspire à lui nuire, comme dirait Phèdre : depuis la bouilloire qui fuit jusqu'au réparateur de chaudière fantôme, émissaire de la firme Chaudière et Chaleur Humaine ! Mais il nous décrit les avanies du destin avec tant d'humour et de recul qu'au lieu de compatir, on rit… Suprême élégance, il s'offre le luxe d'un Happy End. Que demander de plus ?? Courez-y !

Hélène H.

 "La vague qui vient" de Daniel Fohr. Éditions Inculte, 2023. 336 pages.