4ème
roman de ce jeune auteur péruvien de 41 ans, également journaliste
et poète, qui vit à Madrid. C’est un livre qu’il portait en lui
depuis une dizaine d’années et c’est sans doute la lecture,
notamment, de « Lettre au père » de Kafka et de
« L’invention de la solitude » de Paul Auster qui en
ont été l’élément déclencheur.
Cette
passionnante et douloureuse enquête est née de blessures intimes :
la perte de son père alors qu’il n’avait que 18 ans. Un père
qui voulait tout contrôler, façonner ses enfants à son image, qui
entretenait deux familles, un père qui n’était pas n’importe
quel père mais le tout puissant général Cisneros Vizquerra, « El
Gaucho Cisneros ». Il lui fallait savoir qui était vraiment ce
père, tenter de le comprendre pour pouvoir avancer.
P 232 : « je ne parviendrai jamais à résoudre le
grand paradoxe que fut mon père, à me débarrasser de ce boulet
dont le poids n’a cessé d’augmenter sur mes épaules jusqu’à
les déformer »
Raconter
l’histoire de cet homme c’est d’abord parler de ce jeune
péruvien exilé avec sa famille à Buenos Aires dans les années 30,
introverti, passionné par la danse et la musique, qui est envoyé à
l’école militaire où il est le condisciple de Videla et d’autres
futurs génocidaires.
P162 : «Chaque fois que j’entends ces noms,
Videla, Viola, Galtieri, Bussi, Suárez Mason, chaque fois que je
pense qu’ils faisaient partie de la promotion militaire de mon
père, je me demande ce qui se serait passé si El Gaucho n’était
pas venu vivre au Pérou à l’âge de vingt et un ans et s’il
était resté à l’école militaire en Argentine. Quel rôle
aurait-il joué dans cette dictature ? »
Comment
ce jeune garçon sensible est-il devenu cet homme implacable,
responsable de l’emprisonnement de nombreux opposants alors qu’il
était Ministre de l’Intérieur puis de la guerre dans le Pérou
des années 70-80. ? C’est tout l’objet de ce roman.
Une
sorte de catharsis littéraire donc, une façon d’exorciser ses
démons. Mais si la démarche est intimiste nous ne sommes pas dans
le domaine de l’autofiction parce que le personnage du père est
hors norme, c’est un véritable personnage de roman, digne de
Gabriel García Marquez et, à travers son destin personnel c’est
tout un pan de l’histoire du Pérou qui nous est conté. Un moment
particulièrement compliqué avec un pouvoir très autoritaire et, en
face, le Sentier Lumineux.
Dans
ce roman, au style très fluide, Renato Cisneros prend la mesure de
la distance qui le sépare de son père mais aussi de ce qui les
rassemble et ce qui les rassemble c’est une histoire familiale
complexe éminemment romanesque qu’il continue d’explorer dans
son dernier livre paru cet été au Pérou et qui s’appelle
« Dejarás la tierra » (Tu abandonneras la terre) et dont
il nous donne ici les prémices :
P135 : « Mon arrière-grand-père était un
bâtard. Mon grand-père, un déporté. Mon père, un étranger.
Trois hommes illégitimes et déracinés….Tous les trois furent
célèbres mais ne se laissèrent jamais connaître vraiment. Tous
les trois furent condamnés à partir. Tous les trois avaient changé
sous les coups et ne purent devenir ces hommes qu’ils auraient pu
être. »
Françoise
Jarrousse
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