Il ne voulait pas
l’écrire, ce livre mais il ne pouvait pas ne pas l’écrire. Et
il nous arrive comme un coup de poing dans la figure qui vous laisse
K.O. C’est que lui, Erwan Larher, fan de rock depuis toujours,
était au Bataclan le 13 novembre 2015. Écrivain, auteur notamment
de « Marguerite n’aime pas ses fesses » (2016) et de
« L’abandon du mâle en milieu hostile » (2013) il a
vécu ces heures d’enfer et en est sorti vivant, sérieusement
blessé mais vivant. Poussé par ses amis qui lui disaient que son
« devoir » était de témoigner, il a beaucoup hésité
puis, sans doute parce que c’était une nécessité profonde,
viscérale, il a fini par se dire qu’il ne pouvait se dérober.
Mais comment
trouver le ton juste, sans tomber dans le larmoyant ou le voyeurisme
(et pourtant…) Comment traduire ce qui est de l’ordre de
l’indicible. Il dit qu’il court après ce livre, qu’il doit
« le dompter. L’apprivoiser. » Et que « sans
cesse il se dérobe. » En fait, il va « écrire autour »
de ce drame, « Écrire parce que tu n’as pas le choix, porté
par une force qui te dépasse ; autour parce que tu es romancier
et non chroniqueur, parce que tu ne peux façonner un texte qu’en
appétant faire littérature. Ni témoignage ni récit, donc.
Inventer autre chose. Forme. Langue. »
« Faire un
objet littéraire ». Immense défi, pari improbable et pourtant
réussite totale, car ce livre, s’il est bien un « objet
littéraire », une sorte de chant choral écrit avec juste les
mots nécessaires, est, sans doute précisément à cause de cela, un
livre profondément émouvant et humain.
Erwan Larher se
met à distance employant le « tu » quand il parle de ce
qu’il a vécu, ses mots sont nus quand il dit ce qui s’est passé
dans le Bataclan, et ils ont force d’image.
Il est la douleur
des victimes:
« J’entends
la guerre. La panique. Cataclysme sonore. L’odeur agresse aussi,
âcre et douceâtre, le sang et la poudre, les tripes, même les cris
ont une odeur de mort, des fumerolles de cris, des injonctions,… »
Il est la
violence des terroristes :
« Tu tires
sur ton mal-être et ta jalousie. Tu tires sur tes envies inassouvies
et ta frustration… »
Chant choral
parce qu’autour de lui il y a la voix de ses amis qui s’inquiètent,
qui ne le lâcheront à aucun moment et l’accompagneront dans sa
lente et douloureuse reconstruction. Il y a aussi les voix de tous
les soignants auxquels il rend hommage et le monde de l’hôpital,
où tous les détails ont de l’importance et qu’il décrit avec
une grande justesse :
« guetter
les bruits dans le couloir (chariots qu’on déplace, voix,
micro-ondes en marche), les pas, bientôt une visite, bientôt une
présence, pouvoir parler, être réconforté, solacié.»
Il y a même une
certaine forme d’humour et d’autodérision. Ainsi il s’amuse du
fait que sur son lit d’hôpital, alors qu’une balle lui a
traversé le cul (c’est le terme qu’il emploie), il corrige les
épreuves de « Marguerite n’aime pas ses fesses » et il
pense de façon récurrente à la perte de ses santiags auxquelles il
tenait tant.
Sa grande et
difficile victoire sera de retourner dans une salle de concert :
« Les musiciens s’installent. Keren-Ann arrive et entame son
premier morceau. Je fonds soudain en larmes…Ce sont de bonnes
larmes, presque purificatrices ;… Après quelques minutes, les
sanglots s’apaisent. Voilà, j’ai remis les fesses dans une salle
de concert. »
Un livre juste et
fort qui est de ceux qu’on ne peut oublier, une écriture sèche,
précise et poétique à la fois. Et un grand merci à la petite
maison d’édition QUIDAM qui fait un beau travail d’avoir publié
ce livre que son auteur ne voulait pas écrire.
Françoise
Jarrousse
NB : Un autre Collecteur, Marc Ossorguine, dit le plus grand bien de ce livre, comme de très nombreux lecteurs !
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