« Je
veux une poésie du monde, qui voyage… Je veux une poésie qui
s’écrive à hauteur d’homme…une poésie qui n’oublie pas la
vieille valeur sacrée de l’écrit : faire que des vies soient
sauvées du néant parce qu’on les aura racontées »
C’est
ainsi que commence « De
sang et de lumière »
par une déclaration forte qui met l’homme au cœur de la parole
poétique. Cette parole est profondément humaine, douloureuse et
lumineuse à la fois. Laurent Gaudé a rassemblé là huit poèmes
qui ont une force incantatoire et qui racontent notre histoire. Ils
sont nés de voyages en différents lieux du monde où s’exerce la
violence,
Du
Kurdistan irakien « Nous étions des milliers/Avec nos
valises ventrues,/nos affaires empilées,/Nos corps encombrés de
tout,/Soulagés d’être passés/Hors de portée, pour la première
fois depuis des mois/de la voracité du malheur »
Jusqu’en
Haïti : « Chaque jour est une vie ici/ Course de
poussière pour manger, bricoler, tenir/Course de poussière qui
finit chaque soir et recommence/chaque matin »
En
passant par Grande-Synthe « Jungle d’hommes épuisés par
les rafales de vents ;/ Jungle de toux, de fièvres, de
raclements de gorges,/ Jungle de peurs qu’on ne dit pas – à qui
pourrait-on ? - /Que l’on garde pour soi. »
Voyage
dans le temps également dans l’Afrique de la traite des noirs, à
l’époque où, avant de les embarquer sur les navires négriers, on
les faisait tourner autour d’un arbre jusqu’à ce qu’ils
perdent jusqu’à la conscience de leur existence :
« Tourne./ Ils obéissent,/ Ils vont mourir à eux-mêmes
autour de l’arbre./ Ils le savent,/ Sept tours pour tout quitter/
Et renaître là-bas,/Esclaves,/ Neufs,/Chair fraîche,/ Sans
mémoire »
Et
puis enfin voyage sur les traces de ses ancêtres, dans le nord :
« Je viens de terres brumeuses/Qui sentent l’odeur chaude des
siècles,/La teinture et le houblon./ Je viens de terres que je ne
connais pas,/ Qui portent des noms à la mine rouge et aux oreilles
écartées : Hazebrouck, Bousbecque, Wervicq, Wattrelos,/
Battues par les vents,/ Et transpercées d’humidité »
A
travers ces huit chants au souffle épique Laurent Gaudé nous fait
entendre la voix des opprimés, des oubliés, de ceux qui n’ont
rien. Et il n’y a là cependant aucun misérabilisme car c’est
aussi une voix pleine d’espoir. C’est un chant fraternel, une foi
en la force de l’humanisme qui fait beaucoup de bien en ces temps
troublés : «Ce qui grandit et nous donne la force de relever
la tête,/ C’est la part belle,/Que nous sauvons, siècle après
siècle,/ Comme un bien précieux au-delà de nos vies,/ La part
belle/ De lumière/ De sourire/ Et d’esprit. »
Françoise
Jarrousse
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