mardi, janvier 22, 2019

"De sang et de lumière" de Laurent Gaudé (France)

« Je veux une poésie du monde, qui voyage… Je veux une poésie qui s’écrive à hauteur d’homme…une poésie qui n’oublie pas la vieille valeur sacrée de l’écrit : faire que des vies soient sauvées du néant parce qu’on les aura racontées »
C’est ainsi que commence « De sang et de lumière » par une déclaration forte qui met l’homme au cœur de la parole poétique. Cette parole est profondément humaine, douloureuse et lumineuse à la fois. Laurent Gaudé a rassemblé là huit poèmes qui ont une force incantatoire et qui racontent notre histoire. Ils sont nés de voyages en différents lieux du monde où s’exerce la violence,
Du Kurdistan irakien « Nous étions des milliers/Avec nos valises ventrues,/nos affaires empilées,/Nos corps encombrés de tout,/Soulagés d’être passés/Hors de portée, pour la première fois depuis des mois/de la voracité du malheur »

Jusqu’en Haïti : « Chaque jour est une vie ici/ Course de poussière pour manger, bricoler, tenir/Course de poussière qui finit chaque soir et recommence/chaque matin »
En passant par Grande-Synthe « Jungle d’hommes épuisés par les rafales de vents ;/ Jungle de toux, de fièvres, de raclements de gorges,/ Jungle de peurs qu’on ne dit pas – à qui pourrait-on ? - /Que l’on garde pour soi. »
Voyage dans le temps également dans l’Afrique de la traite des noirs, à l’époque où, avant de les embarquer sur les navires négriers, on les faisait tourner autour d’un arbre jusqu’à ce qu’ils perdent jusqu’à la conscience de leur existence : « Tourne./ Ils obéissent,/ Ils vont mourir à eux-mêmes autour de l’arbre./ Ils le savent,/ Sept tours pour tout quitter/ Et renaître là-bas,/Esclaves,/ Neufs,/Chair fraîche,/ Sans mémoire »
Et puis enfin voyage sur les traces de ses ancêtres, dans le nord : « Je viens de terres brumeuses/Qui sentent l’odeur chaude des siècles,/La teinture et le houblon./ Je viens de terres que je ne connais pas,/ Qui portent des noms à la mine rouge et aux oreilles écartées : Hazebrouck, Bousbecque, Wervicq, Wattrelos,/ Battues par les vents,/ Et transpercées d’humidité »
A travers ces huit chants au souffle épique Laurent Gaudé nous fait entendre la voix des opprimés, des oubliés, de ceux qui n’ont rien. Et il n’y a là cependant aucun misérabilisme car c’est aussi une voix pleine d’espoir. C’est un chant fraternel, une foi en la force de l’humanisme qui fait beaucoup de bien en ces temps troublés : «Ce qui grandit et nous donne la force de relever la tête,/ C’est la part belle,/Que nous sauvons, siècle après siècle,/ Comme un bien précieux au-delà de nos vies,/ La part belle/ De lumière/ De sourire/ Et d’esprit. »

Françoise Jarrousse

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