mercredi, janvier 29, 2020

"Péter les boulons" de Laurence Biberfeld (France)

Laurence Biberfeld n’est pas une inconnue pour Les Collecteurs : quatre de ses livres sont déjà chroniqués sur notre blog, et voici le cinquième, et elle fut également notre invitée, en compagnie d’Anne Bourrel, lors de la première rencontre publique de notre association, il y a un peu plus de quatre ans au Gazette Café.
Elle a vingt-et-un titres à son actif, principalement des romans, mais aussi quatre essais. Son domaine de prédilection est le roman noir, et si je me fie aux cinq titres que j’ai lus, ce qui l’occupe, la préoccupe le plus, c’est le sort des individus et des communautés les plus déshérités de notre société.
Elle décrit crûment leur vie et les nombreux obstacles et mécanismes qui leur rendent l’existence impossible. Et chaque fois, pour les sortir de là, de ces impasses, il reste l’explosion, l’évènement de trop qui les conduit à la résistance, à la rébellion, à l’irréparable.
« Péter les boulons » (éditions in8), la dernière parution en date, est un concentré de tout cela, une sorte de feu d’artifice. Voici comment l’éditeur la présente :
« Lucien, opéré pour une simple hernie, se réveille amputé de deux mètres d’intestins. La surprise n’est pas vraiment au goût d’Irène, sa fille, qui décide de punir de façon définitive le chirurgien zélé. C’est qu’Irène est très famille. En cavale, elle se réfugie dans un squat multiculturel et y retrouve tous ses compagnons de galère, des laissés pour compte, des boulons trop serrés qui ne demandent qu’à faire dérailler le rouleau compresseur du système. Ce petit monde s’engage bientôt dans une vengeance collective radicale. Assistantes sociales, psys, comme agents pôle emploi feraient bien de se mettre aux abris. Car c’est le système social entier que le gang d’Irène veut déboulonner.

En matière de colère, la radicalité est signe de franchise. Laurence Biberfeld a toujours été engagée, dans la vie, dans ses romans. Elle livre un polar punk déjanté, excessif, et jubilatoire qui questionne notre système social. »
La première moitié du roman nous raconte l’émergence de ce processus de vengeance et sa propagation fulgurante dans l’entourage d’Irène qui découvre très vite qu’elle est loin d’être seule et isolée dans sa galère et sa rage. La violence de chaque épisode de suppression nous évoque le cinéma de Tarantino, mais elle est très vite contre-balancée par l’immense tendresse et la belle solidarité de la tribu - de plus en plus large au fil du récit - qui entoure Irène, son père et ses filles.
Le style de Laurence Biberfeld contribue lui aussi à rendre cette hécatombe vraiment très fun. Ça commence par la topographie réinventée de Montpellier. Ainsi, le récit se déroule à Montperrier, on y traverse Sellevieille, Aiguecourte, La Paillasse, La Fantaisie, La Moisson, Maudio et enfin le Pic Saint Ours. Tous les protagonistes ont une verve assez succulente et un sens de la répartie qui nous les rend très immédiatement sympathiques !
Pour vous en donner un aperçu, voici les deux premières pages du deuxième chapitre…



Et puis, un petit passage au milieu du récit sur les avantages des inconvénients de ne pas avoir de boulot !


Dans la seconde moitié du roman, la configuration change un peu et Laurence Biberfeld nous emmène dans des actions de groupe cette fois, où toutes les générations se rassemblent pour rendre justice aux enfants. En effet, le sort que réserve l’aide sociale à l’enfance (ASE) aux enfants de pauvres est l’un des sujets les plus révoltants. L’actualité nous a récemment ramené à cette réalité sordide : les enfants sont une marchandise aux yeux de certains organismes sans scrupule. Et en prétendant les sauver du grand péril de leur famille, on leur fait vivre des infamies.
On aura là l’occasion de goûter à la dépravation d’une haute bourgeoisie flirtant de trop près avec un comportement maffieux et prostituteur. Et enfin, c’est le sort des enfants autistes retirés d’office à leur famille qui clôturera cette fresque sociale unique en son genre !
Vraiment, cette lecture est jubilatoire, l’éditeur a trouvé le bon mot ! Laurence Biberfeld a une écriture transgressive qui paraît bien salutaire par les temps qui courent…
A lire !


Laurence Holvoet

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