lundi, janvier 06, 2020

"Encre sympathique", de Patrick Modiano (France)


Qu’est-ce qui pousse le narrateur, un jeune homme d’une vingtaine d’années au début du récit, à mener une enquête pour découvrir ce qu’est devenue une certaine Noëlle Lefebvre, signalée disparue par un dénommé Georges Brainos auprès de « Hutte » le patron du narrateur ?

« Encre sympathique » commence comme un polar américain de Raymond Chandler, avec un privé chargé de retrouver une personne disparue mystérieusement. Mais très vite Patrick Modiano abandonne les codes du genre – le narrateur n’a rien d’un Philip Marlowe – pour une tonalité plus mélancolique et énigmatique. 

Ce qui n’est au départ qu’une mission confiée pour un premier emploi au narrateur en effet, va se transformer en quête à partir de maigres indices : une carte pour aller chercher le courrier de Noëlle Lefebvre à une poste restante, un agenda tenu de sa main et oublié dans un tiroir de chambre obscure, un personnage d’apprenti comédien, un dancing sur le point d’être démoli … Comme toujours avec Modiano on arpente les rues de Paris – ici le 15ème arrondissement – à la recherche d’une trace d’un passé révolu. Mais le jeu de piste nous conduira aussi jusqu’à Rome, où on évoquera des souvenirs de la région d’Annecy.
Remémoration, passage du temps, recherche de ses maigres traces, on retrouve bien là tous les thèmes chers au Prix Nobel de littérature qu’on connaît. Patrick Modiano maîtrise l’art de l’ellipse, et celle du récit labyrinthique pour cerner son sujet : il procède de façon concentrique et apparemment décousue, avant de retrouver celle qu’il recherche, alors que le narrateur lui-même ne sait pas ce qui le pousse à aller de l’avant.

« Il y a des blancs dans une vie »  dit son personnage principal. Cela revient régulièrement, comme un mantra que l’auteur nous livrerait en guise d’explication. Et l’époque dont il s’agit ne peut être détaillée par Internet : « Aujourd’hui, j’entame la soixante-troisième page de ce livre en me disant que l’Internet ne m’est d’aucun secours…. Tant mieux, car il n’y aurait plus matière à écrire un livre. Il suffirait de recopier des phrases qui apparaissent sur un écran, sans le moindre effort d’imagination. »

Dieu merci, pas d’Internet pour parler de Noëlle Lefebvre, mais un récit caché qui ne se révèle qu’à l’aide d’une encre sympathique :  c’est tout le charme de cette écriture. 
Florence Balestas

Encre sympathique, Patrick Modiano, Gallimard, 2019

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