Qu’est-ce qui pousse le narrateur,
un jeune homme d’une vingtaine d’années au début du récit, à mener une enquête
pour découvrir ce qu’est devenue une certaine Noëlle Lefebvre, signalée
disparue par un dénommé Georges Brainos auprès de « Hutte » le patron
du narrateur ?
« Encre sympathique »
commence comme un polar américain de Raymond Chandler, avec un privé chargé de
retrouver une personne disparue mystérieusement. Mais très vite Patrick Modiano
abandonne les codes du genre – le narrateur n’a rien d’un Philip Marlowe –
pour une tonalité plus mélancolique et énigmatique.
Ce qui n’est au départ qu’une
mission confiée pour un premier emploi au narrateur en effet, va se transformer
en quête à partir de maigres indices : une carte pour aller chercher le
courrier de Noëlle Lefebvre à une poste restante, un agenda tenu de sa main et
oublié dans un tiroir de chambre obscure, un personnage d’apprenti comédien, un
dancing sur le point d’être démoli … Comme toujours avec Modiano on arpente les
rues de Paris – ici le 15ème arrondissement – à la recherche d’une
trace d’un passé révolu. Mais le jeu de piste nous conduira aussi jusqu’à Rome,
où on évoquera des souvenirs de la région d’Annecy.
Remémoration, passage du temps, recherche
de ses maigres traces, on retrouve bien là tous les thèmes chers au Prix Nobel
de littérature qu’on connaît. Patrick Modiano maîtrise l’art de l’ellipse, et
celle du récit labyrinthique pour cerner son sujet : il procède de façon
concentrique et apparemment décousue, avant de retrouver celle qu’il recherche,
alors que le narrateur lui-même ne sait pas ce qui le pousse à aller de
l’avant.
« Il y a des blancs dans une
vie » dit son personnage principal.
Cela revient régulièrement, comme un mantra que l’auteur nous livrerait en
guise d’explication. Et l’époque dont il s’agit ne peut être détaillée par
Internet : « Aujourd’hui, j’entame la soixante-troisième page de ce livre en me
disant que l’Internet ne m’est d’aucun secours…. Tant mieux, car il n’y aurait
plus matière à écrire un livre. Il suffirait de recopier des phrases qui
apparaissent sur un écran, sans le moindre effort d’imagination. »
Dieu merci, pas d’Internet pour
parler de Noëlle Lefebvre, mais un récit caché qui ne se révèle qu’à l’aide d’une
encre sympathique : c’est tout le charme de cette écriture.
Florence Balestas
Encre sympathique, Patrick Modiano, Gallimard, 2019
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