vendredi, mars 10, 2023

"Sarah quand même " de Régine Detambel (France)

Lumineuse idée, de faire d'une « Susan » éperdue, indispensable et maltraitée, la narratrice de « Sarah quand même » ! Les grands créateurs – et créatrices – ont souvent besoin d'esclaves utiles, tour à tour amantes (très brièvement, ici), confidentes, interfaces entre leur brio et la vie quotidienne… voir Marguerite Yourcenar et Grace Frick, Beauvoir et Bianca Lamblin…

Grâce à Susan, donc, à qui Régine Detambel prête sa plume étourdissante, nous accompagnons Sarah Bernhardt dans les vingt dernières années de son existence, qui ne sont pas les moins tumultueuses. Ne plus être enveloppée de « la gélatine de la jeunesse » n'empêche Sarah ni de foncer ni de séduire. Cette affamée de succès joue tous les rôles, masculins ou féminins (L'Aiglon, Hamlet, Phèdre, Tosca…) À la scène comme dans la vie, la ligne de démarcation entre les sexes ne sera jamais pour elle un obstacle. La différence d'âge non plus. Bientôt septuagénaire elle parcourt les États-Unis, en tournée avec son jeune amant Lou Tellegen, de presque 40 ans son cadet.

Sarah, quel courage, quelle santé ! Et à quel prix ! Elle souffrira du genou pendant des années, avant de prendre la décision de se faire amputer, en 1915. Et elle continuera à monter en scène, assise, allongée, un instant debout sur une jambe, héroïquement appuyée à quelque trône…
Régine Detambel possède le génie des portraits de personnages, de villes, de situations, concentrés en quelques lignes. Elle évoque les horizons américains : « Parfois les villes sont tout en fer, avec des locomotives au milieu des rues, du brouillard et des fils télégraphiques partout, et des magasins grands comme des musées ». Elle dit de Sarah par la bouche de Susan : « Je crois qu'elle n'a jamais fait le moindre tri, ni dans ses bibelots, ni dans ses amours ». Ou elle croque des acteurs, comme Mounet-Sully « Dans la peau d'Oedipe ou dans celle du prince Hamlet, il est un colosse à colliers, barbu, avec des mèches et des muscles » ...et Édouard de Max « Il a mon âge, les cuisses brunes, les aisselles sombres et se rase les sourcils pour plaire à de jeunes hommes très beaux ».

On accuse Sarah d'être âpre au gain, d'organiser sa propre publicité. Susan, la narratrice de « Sarah quand même » note que celle-ci a toujours peur de manquer. « Elle est célèbre parce qu'elle veut l'être, avec une intensité qui a rarement été égalée », déclarait Henry James. Et en 1895, le critique William Archer lui reprochait d'avoir fait de son talent « une machine à sous » (j'emprunte ces deux citations à Jeanne Teisson, dans son recueil « Elles ont aimé un homme plus jeune »). C'est qu'elle en a besoin, elle a charge d'âmes… et de bouches !

Car le cercle de proches que Sarah appelait avec humour sa ménagerie comprenait certes des animaux – guépard, lionceau, lynx, perruches (sans compter l'alligator dont je vous laisse découvrir le prénom !) – qui étaient des métaphores de sa propre vie, à la fois sauvage et entravée par les problèmes "alimentaires", mais aussi des êtres aimés, des êtres humains : poètes, peintres, gigolos, amoureuses… sans compter son plus grand amour, son fils Maurice, qui tout en la ruinant assidûment se battait en duel avec quiconque attentait à l'honneur de sa mère ou la traitait par exemple de « sale roulure juive ».

En 1923, l'année où elle mourra, elle commence à tourner dans un film dont Sacha Guitry signe le scénario, « La Voyante ». Elle fait des projets. Renoncer ? Jamais.

— J'ai le goût du miracle, disait Sarah.

Puisse-t-elle, à travers le livre de Régine, nous le communiquer !

 

Hélène Honnorat

 "Sarah quand même " de Régine Detambel. Actes Sud, 2023. 176 pages

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