lundi, mars 10, 2025

"Bristol" de Jean Echenoz (France)

C’est un nanar. C’est un four. C’est un navet. Et pourtant c’est un film de série B, et c’est surtout le sujet du dernier livre de Jean Echenoz !

L’histoire commence lorsque le personnage principal, Bristol, sort de chez lui, et qu’il remarque à peine qu’un homme tombe du 5ème étage de l’immeuble où il vit. Il ne le voit pas, il est pressé, il a des rendez-vous importants pour la production de son futur film, et cet évènement, passé sous ses radars, aura des conséquences plus tard, dans la suite de l’histoire.

Le film qu’il prépare, c’est une adaptation de « Nos cœurs au purgatoire », une œuvre de Marjorie des Marais (double de Barbara Cartland) – ça ne s’invente pas. L’actrice principale, habilement suggérée par l’autrice à l’origine de l’œuvre (moyennant un coup de pouce financier qui tombe à pic pour l’équipe de production de Bristol) s’appelle Céleste Oppen – ça ne s’invente pas non plus. Il faudra ajouter un improbable commandant Parker, rencontré au cœur de l’Afrique noire, mais qui saura trouver le chemin jusqu’à l’appartement de Bristol pour s’offrir des vacances dorées à Paris, et enfin un improbable Inspecteur qui termineront rapidement dans le lit de la belle Marjorie des Marais, dans un vaudeville qui ne dira pas son nom, n’ayant pas pu résoudre le mystère de cet homme tombé de l’immeuble où vit notre anti-héros Bristol.

Serions-nous avec Jean Dujardin pour tourner un nouvel OSS 117 ?

Peut-être. Ce qui est sûr, c’est que notre auteur fétiche est marqué par l’écriture cinématographique, sans aucun doute. Il joue aussi sur les codes qu’il maîtrise totalement : les codes de la biographie, de ceux du roman d’aventures – scène hilarante de tournage au cœur de l’Afrique noire avec éléphants et milice armée – et du roman policier, et tout cela nous donne un récit à la manière d’un scénario de nanar des années 60.

Ce qui est sûr aussi, c’est que nous sommes dans un récit où l’on trouvera beaucoup de digressions et certainement beaucoup de parodies aussi, de la satire, de l’humour dévastateur et de la dérision, mais aussi de l’ellipse, de l’équivoque pour nous raconter ce qui pourrait passer pour un mauvais scénario de Série B, si ce n’était le talent de conteur d’un Jean Echenoz.

Car il y a le style, bien sûr. Et celui d’Echenoz est inimitable.

Pour moi, il faut remonter aux sources de son écriture, que j’ai croisé avec « Au piano » – et ce fut un total coup de foudre de mon côté. J’ai alors rattrapé mon retard en lisant a posteriori « Les grandes blondes » – hilarant – et plus tard j’ai découvert la Trilogie que je mets sur mon podium littéraire à savoir « 14 » (je m’en souviens comme si c’était hier), « Courir » et encore « Ravel » qui restera peut-être mon préféré.

Plus tard, j’ai lu aussi « Caprice de la Reine », et puis « Envoyée spéciale » – désopilant aussi –, ou bien « Vie de Gérard Fulmard », qui s’ouvrait déjà sur une chute : à l’époque c’était – souvenez-vous pour ceux qui comme moi l’ont lu il y a quelques temps – un morceau de satellite soviétique s’écrasant sur le centre commercial d’Auteuil. Grandeur et décadence : c’est souvent le leitmotiv qui revient dans tous ses romans.

Totalement loufoque, rocambolesque, décalé, comique parfois cocasse, improbable et délirant, « Bristol » est dans cette veine qui personnellement me faire rire, un rire ravageur mais jamais cruel, totalement libre, alors que maîtrisant complètement son récit et les codes cinématographiques, et qui dépeint des femmes et des hommes paumés et livrés à eux-mêmes, en opposition à toute forme de « Self made man » , très loin de tous ces portraits qu’on peut trouver sur Instagram ou autres réseaux sociaux où l’on apparaît sous son meilleur jour ; et si c’était ça, la grande réussite de Jean Echenoz ?

Florence Balestas

"Bristol" de Jean Echenoz. Éditions de Minuit, 2025. 208 pages.



EXTRAITS

« Dans les romans comme dans les films, ce qu'on appelle un coup de foudre est toujours difficile à représenter. Un professionnel saurait très bien le faire mais quand on n'est qu'un amateur, l'entreprise est décourageante et donc le mieux, dans ce cas, aurait peut-être été de ne rien décrire du tout. Mais bon, nous aurons essayé. »




P. 26

« Allons-y donc : après avoir tourné quatre ou cinq courts métrages restés confidentiels, il a réalisé une douzaine de films de fiction dans des genres divers – policier, fantastique, espionnage, guerre -, accueillis par des succès d’estime quoique sans jamais toucher un grand public même si, parmi ceux qui ont tenu plus de trois semaines en salles, on peut quand même citer « Personne suivante », « Les Nénuphars » et « Priez pour elle » qui a emporté le Clap de bronze – c’est l’objet qu’on a vu tout à l’heure, posé sur la cheminée – aux journées cinématographiques de Panazol, puis fait l’objet d’une controverse remarquée pendant les Rencontres de Gap, à l’occasion d’une rétrospective Robert Bristol au cours de laquelle avaient été projetés trois de ses documentaires, consacrés à un peintre (François-Marie Firmin-Girard), une chanteuse (Germaine Veillé) et un philosophe (Louis-Claude de Saint-Martin), parfois rediffusés sur une chaîne culturelle, leur auteur ayant également conçu une série de spots publicitaires pour la boisson énergisante Bulloz, production marginale mais lucrative pour ce cinéaste qui a été marié puis divorcé deux fois mais vit à présent seul, surveille sont hyperglycémie et mesure un mètre soixante-seize : voilà qui est fait.

Partons maintenant à la gare. »


















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