samedi, octobre 07, 2023

"Il n’y a pas de Ajar" de Delphine HORVILLEUR (France)


Grâce à notre amie Hélène Honnorat membre des Collecteurs, j’ai découvert « Il n’y a pas de Ajar » de l’autrice Delphine Horvilleur et c’est un très bon livre.

D’abord parce qu’il est écrit par Delphine Horvilleur, brillante intellectuelle qui est par ailleurs une femme rabbin, qui nous a enchanté avec « Vivre avec nos morts » – entre autres.

Mais aussi parce que cet essai (mais est-ce un essai ? Difficile à cataloguer) est sous-titré : « Monologue contre l’identité ». « L’humour est une affirmation de supériorité de l’homme sur ce qui lui arrive », cite-t-elle en exergue de cette partie, une citation de Romain Gary dont il va être beaucoup question dans cet essai.

Et c’est vrai que ça fait du bien, dans ces quelques phrases, d’entendre un souffle totalement différent de ces messages identitaires qu’on entend sur toutes les ondes et sur tous les réseaux sociaux.
Pour tenir son propos, et dans une première partie, elle rend un hommage appuyé à ce subterfuge bien connu des littéraires du dédoublement de Romain Gary en Émile Ajar obtenant deux fois le Prix Goncourt sous deux identités différentes.

Et elle imagine que Romain Gary/ Émile Ajar n’a pas appuyé sur la détente du pistolet destiné à son suicide. Non. « Ajar n’est pas mort ce jour-là. Il a continué à être bien vivant, et il s’est planqué là. »
Planqué dans une sorte de cave, de grotte, de lieu intérieur dans lequel il aurait poursuivi sa vie.
Audacieux, non ? 

Mais mieux encore. Elle imagine que Émile Ajar a eu un fils, Abraham. Et que de cette sorte de cave, de grotte où il se cache, il peut envoyer quelques messages.
Mais la seconde partie est encore plus intéressante.

Nous avons droit alors à un passage par la bible ancienne, mais surtout à un appel à échapper aux étiquettes et définitions qu’on nous colle et qui nous empêche d’être nous-même.

« Abraham et mon père ont compris tous les deux qu’il y avait une urgence à n’avoir aucun rapport avec le contexte et pour ça, qu’il fallait se soustraire, se casser, le plus loin possible, et en tout petits morceaux. Tout faire pour échapper à ceux que vous comprenez et qui vous comprennent, ceux qui savent tout de vous parce qu’ils vous ont vu naître ou appris à parler, et qui s’imaginent que ça crée des liens.

Non, non, pas question d’appartenir ! Et merde à l’engendrement. »
C’est très rafraîchissant de lire ces propos.

Elle invente des concepts. Comme celui de « Intactiviste » pour s’opposer à la circoncision, qui détermine le peuple juif. Et nous appelle à nous débarrasser de « cette idée morbide qu’il y aurait une possibilité vraiment d’être soi ».

Dieu lui-même est convoqué. Ou plutôt invoqué puisqu’on ne peut prononcer son nom. Et Dieu aussi est contre le déterminisme. Ou contre l’idée d’« appropriation culturelle », à savoir l’idée qu’on ne peut pas écrire sur un personnage féminin si on n’est pas soi-même une femme etc. …

Cette grotte où est caché Abraham est peut-être en chacun de nous. Ce trou est d’ailleurs peut-être un nom de code. Parce qu’il y a bien un médecin viennois qui en a parlé aussi : « Lui, il appelait cet endroit autrement, « l’inconscient », je crois ou quelque chose comme ça.

Cette question de l’identité est dans tous les médias.

Il y a quelques temps il était question de « l’identité nationale » à propos d’un récit national qui serait lié à notre histoire française. Patrick Boucheron a produit un essai à ce sujet dans son excellent ouvrage « Histoire mondiale de la France ». Peu après, il a été question de « l’identité malheureuse » et ensuite un peu plus tard de « l’identité heureuse ».

On a donc entendu des politiques, des historiens ou des philosophes s’emparer du sujet.

Delphine Horvilleur, avec cet essai de moins de cent pages et sous-titré « Monologue contre l’identité », donne un point de vue différent dans un esprit emprunt de liberté, loin du déterminisme auquel nous assignent aujourd’hui le Marketing qui fait de nous des cibles publicitaires, et plus encore les réseaux sociaux qui nous catégorisent et nous enferment via leurs algorithmes dans des biais de pensées identitaires et identiques.

Lisez « Il n’y a pas de Ajar ».

Il n’y a pas de hasard : Delphine Horvilleur est une autrice définitivement très intéressante.

Florence Balestas

 "Il n'y a pas de Ajar" de Delphine Horvilleur. Grasset, 2022. 96 pages.

 

Quelques extraits...

 P. 51

« Je crois que c’est la pire chose qui puisse arriver dans l’existence : ne manquer ni de sel, ni de tendresse, ni d’amour … parce que alors, il n’y a aucune raison de se mettre à parler, à écrire ou à créer. Si t’es complètement toi-même, alors y’a rien dire.

C’est le mutisme de la plénitude.

Et c’est là qu’elle attaque et qu’elle s’accroche, cette saloperie. Tu sais : « l’identité », comme ils l’appellent tous. C’est fou comme elle les obsède aujourd’hui. Tu as remarqué ? Elle est partout.  Elle bouffe toute la place : elle fait se sentir « bien chez soi » à la maison et en manque de rien. Et c’est comme ça qu’on devient muet, con, antisémite, et parfois les trois à la fois. »


P. 72

« C’est vrai, quoi. Pourquoi serait-on obligé d’avoir l’âge qu’on nous dit qu’on a?

Y a bien des gens qui ont réussi à prouver qu’ils n’ont pas le sexe qu’on dit qu’ils ont, alors pourquoi ce ne serait pas pareil pour l’année de naissance?

Il suffit d’avoir une autre conscience de soi.

Je sais que certains vont me dire que ça n’a rien à voir, que ton âge c’est objectif alors que ton genre, lui, relève de la pure subjectivité, de la culture qui te l’a imposé, etc. Mais depuis quand l’objectivité serait-elle autre chose que la subjectivité de la majorité.

– Tu veux un cachou ? »

1 commentaire:

  1. Bravo pour ce texte et le blog. Ton copain Patrice, de Babelio

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