Dans
trois semaines maintenant s'ouvrira à Montpellier la 30ème édition de la Comédie du Livre, rendez-vous
incontournable pour tous ceux qui aiment lire et rencontrer les
auteurs, et qui veulent, par la même occasion, se faire un panier de
lecture estivale !
Comme depuis quelques
années déjà, le Comité de Lecture de l'AFCM sera au rendez-vous
et s'est donc vu confier cette année l'animation de trois rencontres avec des écrivains qui nous sont familiers ou que nous avons découverts pour l'occasion !
L'une de ces rencontres se tiendra le samedi 30 mai à 14h, au tout
nouveau Gazette Café, avec
Sergi PÀMIES.
Sergi
est un écrivain qui aime la concision. C'est un auteur de nouvelles
quoi ! Et il les cisèle avec un réel talent et un style bien
personnel.
Je
me propose de vous parler aujourd'hui de "La Bicyclette statique" (2010, et 2011 pour la traduction
française) qui est, des trois recueils que j'ai lus jusqu'ici, celui
qui a le plus résonné en moi.
Les
histoires qu'il nous raconte ici parlent de nous, les quadras/quinquas.
Il évoque pour nous aussi bien les petites pilules qui nous aident
parfois à la faire passer, que les mystères de nos origines
individuelles, que nos tentations de parfois en finir, que les heurs
et bonheurs de nos aventures sentimentales qui se heurtent au temps
qui passe et lessive tout, que nos problèmes de poids et de régime,
que nos nostalgies d'enfants, que nos petites et grandes lâchetés
qui font finalement de nous des êtres touchants et terriblement
humains... Chacun s'y trouvera, c'est sûr !
Et
il évoque tout cela avec un style très efficace, qui va droit au
but et qui laisse une belle place à la fois à la prise de distance
et à l'implication personnelle de l'auteur et de son lecteur... On
sourit et l'on rit !
Voici
une petite mise en bouche !
Survie
(pp. 74 à 76)
"On
lui a recommandé si souvent de chercher les réponses à l'intérieur
de lui-même qu'un beau jour il organise une expédition. Équipé d'un casque de spéléologue, d'une machette, d'un piolet et de
cordes d'alpiniste, il commence la traversée. Le premier
franchissement est le plus difficile. Il doit se concentrer beaucoup
pour trouver la fissure adéquate et, en forçant, se glisser dans sa
propre peau. Le passage de l'extérieur à l'intérieur le fait
transpirer et jurer, mais, grâce à des manœuvres de
contorsionnistes et à l'énergie artificielle que lui donnent les
antidépresseurs, il y parvient (émerveillé par l'efficacité de la
machette pour se frayer un chemin et éliminer les obstacles).
L'espace qui l'accueille n'a rien à voir avec ce qu'il avait
imaginé. On lui avait parlé d'un territoire pratiquement illimité
et, à tout hasard, il s'était muni d'un kit de survie. Mais
maintenant il bouge la tête pour éclairer un espace fermé, sombre,
en forme d'armoire. Avec la discipline apprise au cours de multiples
thérapies, il évite d'en tirer des conclusions. Il sait qu'il ne
doit pas se précipiter et il se raccroche à la possibilité de
trouver, au-delà de cette claustrophobie initiale, d'autres espaces.
Pour se donner une plus grande facilité de mouvements, il pose le
sac à dos et les cordes. De la pointe du piolet, il éprouve la
consistance des limites qui l'entourent : toc, toc. Ce qu'il
voit – des couches superposées d'obscurité entourant des
silhouettes d'étagères vides et de cintres sans vêtements – ne
le rassure pas. Si cette armoire est l'endroit où il devait trouver
des réponses, pense-t-il, ça se présente mal. Comme chaque fois
qu'il se sent angoissé, il commence à avoir faim. Il tire du sac à
dos deux barres protéinées et les dévore avec l'avidité d'un
naufragé. Ce qui lui passe par la tête lui plaît aussi peu que ce
qu'il voit. Il ne sait pas ce qu'il s'attendait à trouver mais
l'espoir qui l'a conduit jusqu'ici ne prévoyait pas un meuble vide.
Sans effort, il reconnaît les symptômes de la déception. Il
éprouve la tentation de tirer une fusée pour voir si, vers le haut,
il y a autre chose que cet espace qui, de plus, lui donne
l'impression de rétrécir. Ce n'est qu'une impression mais cela lui
suffit pour comprendre que, bien qu'il se souvienne qu'il est venu
chercher des réponses, il ne sait plus à quelles questions elles
correspondent. Quand, sur un ton aseptique et paternaliste, on lui
parlait du concept "à l'intérieur de toi", il n'avait
jamais imaginé un espace de ce genre. Maintenant il se rend compte
de son erreur quand il avait cru que tout serait vaste, étendu,
incommensurable. Que tout soit aussi sombre et insignifiant est
peut-être une réponse en soi, suppute-t-il. Si, quand il n'avait
pas encore entrepris ce voyage, il n'était pas disposé à admettre
certaines choses, maintenant non plus. C'est pourquoi, sous l'effet
dynamisant des protéines de la barre, il se lève et commence à
frapper violemment contre le fond de l'armoire. Outre la rage, les
coups de piolet lui transmettent des motivations plus intimes. Peu à
peu, il réussit à ouvrir une brèche et il aperçoit, de l'autre
côté, le monde de toujours. Encouragé, il continue à frapper. La
fièvre perceptrice des policiers en train de mettre des
contraventions lui fait éprouver une certaine tendresse et la mer,
saturée de surfeurs et de jet skis, lui transmet une vitalité aussi
réconfortante que l'odeur, mélange de sel, de sardines carbonisées
et de crème solaire. Quand il parvient à agrandir suffisamment le
trou pour sortir de lui-même, il se met à courir comme s'il fuyait
un incendie, sans se préoccuper du sac à dos, des cordes, de la
machette, du piolet et des questions sans réponse qu'il laisse
derrière lui."
Je
ne peux terminer ce petit billet sans évoquer le traducteur, Edmond Raillard ! Il se trouve qu'il a été mon professeur à l'université il y
a........ pfffff...... vingt-huit ans déjà ! Quel plaisir de
le retrouver et de constater qu'il a mis à profit toutes ces années
pour construire une belle œuvre de traducteur - n'oublions jamais
que les traducteurs sont des auteurs ! - de langue "rare",
le catalan ! Une si belle œuvre qu'il a même déjà été
récompensé pour elle, puisqu'il a reçu en 2013 le Grand Prix de
Traduction de la Société des Gens De Lettres (SGDL).
"La
bicyclette statique" de Sergi Pàmies, traduction du Catalan par
Edmond Raillard, Ed. Jacqueline Chambon, 2011, 112p.
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