Née en
1946, Claude Halmos est psychanalyste et écrivain.
Formée par
Jacques Lacan et Francoise Dolto, elle est aujourd'hui devenue l'une
des spécialistes reconnues de l'enfance et de la maltraitance. Elle
a exercé pendant plusieurs années dans des consultations de
pédopsychiatrie, auprès d'enfants abandonnés ou maltraités.
Connue grâce
à ses interventions sur Canal Plus et sur France info, elle répond
également aux questions de lecteurs dans le mensuel Psychologie.
Elle a
publié de nombreux livres, dont Parler c'est vivre (NIL,
1977) Dis-moi pourquoi, Parler à hauteur d'enfant (Fayard,
2012).
Elle aborde
dans son dernier livre, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?,
le thème des ravages psychologiques qu'entraîne la crise chez les
individus aujourd'hui.
Autour de ce
thème, elle aborde de nombreuses questions. Par exemple, la question
de l'éducation des jeunes défavorisés que l'école, au lieu
d'aider, ne fait que reléguer au ban de la société (un constat
fait par de plus en plus de personnes) :
« Ce
handicap aux causes multiples, l'école aurait dû aider ces jeunes à
le surmonter. Et elle aurait pu le faire si elle s'était montrée
fidèle à la promesse de l'Ecole républicaine : donner à tous
les enfants, d'où qu'ils viennent, les mêmes chances. Mais, faute
de moyens financiers et plus encore sans doute de moyens humains,
faute de projets, de perspectives claires, l'école ne l'a pas fait.
Elle ne leur a pas permis de surmonter leur handicap.
Et elle a
même souvent fait pire. Au lieu d'aider ces enfants à s'élever
socialement, au lieu de les tirer vers le haut, elle les a poussés
vers le bas. Aux « étiquettes » qui pesaient sur eux
-fils (ou fille) d'immigrés, fils (ou fille) de pauvres, de
chômeurs, etc-, elle en a, à la suite de leur échec en ses murs,
ajouté une autre ; « inapte à toute scolarité ».
Elle aborde
d'autre part une question plus controversée, celle de la suppression
de la notation à l'école :
«les
élèves souffrant moins de la notation que de la façon dont elle
est utilisée, le problème ne nous paraît pas être de leur
épargner cette notation, mais au contraire de s'en servir pour les
aider à comprendre le sens de ce type d'évaluation. A comprendre
que (nous l'avons précédemment évoqué) les notes qu'ils reçoivent
n'évaluent pas la valeur de leur personne, mais celle de leur
travail. Un travail qu'ils peuvent toujours améliorer.
Compréhension
d'autant plus importante pour eux qu'elle leur sera nécessaire,
durant toute leur existence, dans leur vie professionnelle.
Les
partisans de la suppression des notes oublient en effet que, si
l'école peut (éventuellement) se transformer, le monde du travail,
lui, a peu de chances (du moins à court terme) de changer.
Que, dans
ce monde, l'évaluation de leur travail (et qui plus est son
évaluation en termes d'avancement ou de salaire) ne sera pas
épargnée aux enfants devenus adultes. Et qu'il convient donc, pour
les y préparer, de leur apprendre, dès l'école, à y faire face.
C'est-à-dire à conserver, même si cette évaluation n'est pas
bonne, le sentiment de leur valeur. »
On a
pourtant envie de lui objecter que le monde du travail est en
profonde mutation, et n'est-ce pas l'occasion justement de repenser
le fonctionnement du système scolaire pour lutter contre ce que
Claude Halmos dénonce elle-même, le fait que certains élèves
soient systématiquement rejetés de l'Ecole et donc du monde du
travail ? Mais ceci est une vaste question.
Elle décrit
plus loin les conséquences de la crise sur les relations
parents-enfants :
« Les
parents atteints, par le biais d'une baise importante de revenus ou
du chômage, sont en effet des adultes qui, nous l'avons dit, se
dévalorisent. Atteints dans leur être social, ils ont l'impression
de ne plus être « à la hauteur ». Et cette impression
s'infiltre dans les rapports qu'ils ont avec leurs enfants.
Ils ont
l'impression de ne pas être à la hauteur des attentes de ces
enfants qui vont, pensent-ils, les comparer aux parents de leurs
copains et les trouver forcément moins bien que ces derniers.
Mais ils
ont surtout l'impression de ne pas être à la hauteur de leur tâche
éducative. »
Elle
conseille aux parents de ne pas cacher leurs inquiétudes à leurs
enfants, mais de bien souligner que la situation n'est pas désespérée
et que surtout elle est temporaire :
« Il
est important aussi que l'enfant sente que, si le chômage et les
difficultés financières sont un sujet majeur d'inquiétude, ils
n'entraînent pas pour autant la mort de la joie de vivre. C'est la
fête de mamie et on ne peut pas faire le repas que l'on aurait
souhaité ? Cela n'empêche pas de mettre sur la table la nappe
rose (bien plus jolie que la toile cirée), de lui faire de très
beaux dessins, et surtout de parler, de rire, de s'aimer...
Faire
tout cela quand on est un parent angoissé et déprimé n'est pas
facile. Mais on peut, en comprenant que c'est indispensable et en
rassemblant ses forces, y parvenir.
Et il est
d'autant plus important que les parents réussissent à le faire que
c'est aussi particulièrement bénéfique pour eux. Car, en temps de
crise comme en temps de guerre, résister permet de ne pas seulement
subir et de garder de soi une image qui aide à ne pas sombrer.
Vivre au
temps de la crise est, pour les familles, un combat. Un combat qu'il
faut gagner dans la réalité, mais aussi dans les têtes. Un combat
pour lequel ces familles auraient, plus que jamais, besoin d'aide. »
Elle
reproche alors aux psys (du moins à ceux d'entre eux qui
interviennent dans les media) de ne pas prendre la mesure du
retentissement de la crise, de ses conséquences psychologiques sur
les individus :
« Ce
silence assourdissant et généralisé sur les souffrances provoquées
par la crise économique, sur la crise psychologique qu'elle a
engendrée et qu'elle continue d'engendrer, n'a pas seulement des
conséquences individuelles. Il a aussi des conséquences politiques.
Dire à
quelqu'un (comme devraient aujourd'hui le dire publiquement les
« psys ») : « Ce n'est pas vous qui êtes
malade, c'est le monde qui l'est. Il vous fait payer sa maladie,
c'est pour cela que vous allez mal. Et si vous ne supportez pas ce
que vous avez à vivre, ce n'est pas parce que vous êtes fragile,
c'est parce que c'est invivable », c'est lui dire qu'il n'est
pas la cause de son problème. Qu'il n'a donc pas à se mépriser, à
se détester, à se considérer comme un ennemi. Qu'il ne doit pas se
laisser abattre, qu'il doit se battre. »
Elle
s'attaque, notamment, à la « psychologie positive » :
« Les
hommes et les femmes victimes de la réalité sociale de notre époque
sont aujourd'hui, comme les hommes et les femmes prisonniers des
inondations de notre exemple, confrontés à une situation réellement
dangereuse. Ils savent qu'ils peuvent être, à tout moment,
submergés. Non pas par une montée des eaux, mais par des problèmes
matériels inextricables dus à la crise.
Dès
lors, quel sens cela peut-il avoir de leur conseiller de
« positiver » leur appréhension de leur situation, d'en
chercher le bon côté ? Oserait-on demander à un enfant qui
n'aurait, pour tout goûter, qu'une tartine sans beurre ni confiture
de chercher, pour s'en réjouir, le meilleur côté de cette tartine.
Quel sens
cela peut-il avoir de les encourager à savourer l'instant ?
Peut-on savourer l'instant quand on sait que l'on risque, à tout
instant précisément, de se noyer ? »
Vous l'avez
bien compris, ce livre invite à la réflexion et au débat. Je vous
en recommande la lecture, et pourquoi pas la traduction ?
Rachel Mihault
Rachel Mihault
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