mardi, juin 09, 2015

"Gran Madam's" d'Anne Bourrel

Il y a des livres comme ça qui vous attrapent malgré vous – ou presque ! "Gran Madam's" d'Anne Bourrel, auteure de notre région, est de ceux-là !


Il y a des livres noirs qui commencent fort, comme par exemple "Toutes les vagues de l'océan" de Victor Del Arbol qui nous projetait dès les premières pages, les premiers paragraphes, sur la scène d'un assassinat d'enfant. L'horreur crue avec des mots simples, banals et directs.
"Gran Madam's" est de ceux-là aussi. En cinq lignes, on plonge. On est plongé d'office. Sur la scène d'une passe banalement sordide entre une petite pute de Jonquera, à la frontière entre la France et l'Espagne, et son client. C'est elle, Bégonia, qui raconte. Elle est aux premières loges, mais seul son corps semble concerné, son esprit plane au dessus. Paumé. Mais pas anéanti. Pas encore en tout cas.
On lit ces premières pages en se disant, heeuuu, est-ce que j'ai vraiment envie de lire ça ? Parce que les mots sont tellement directs, tellement percutants qu'on y est ! Et c'est bien glauque. Et on sait que ça existe. Que ce n'est pas que du roman. Mais on est comme la société que décrit l'auteure, volontairement aveugle face à la misère de l'agression sexuelle banalisée de la prostitution, alors on préférerait sans doute ne pas le savoir avec autant de détails, être mis face à autant de douleur muette.
Pourtant on continue la lecture parce que l'écriture est fluide et que le récit ne s'attarde finalement pas plus que ça sur l’innommable. La banalité de toutes les vies quotidiennes reprend le dessus et l'on part sur la route avec les trois principaux protagonistes... On a l'espoir d'un ailleurs, d'un autre chose.
Et on a raison. L'histoire ne s'arrête pas là. Elle nous emmène passer le mois d'août dans un village de l'Aude écrasé par le soleil et la chaleur dans une station service au bord de la nationale menant à de Narbonne à Carcassonne... C'est un crime qui a donné le top départ, mais on n'en saura pas beaucoup plus. C'est un roman noir, pas un roman policier !
L'illusion de la normalité fait surface. C'est Marielle, une enfant, une ado fugueuse, qui offre au trio cette échappée pleine de soleil en leur demandant de la ramener chez elle, où les parents, soulagés de voir leur fille de retour, les invitent à rester quelques jours. Pour Bégonia, les réminiscences du passé gâchent un peu le plaisir de la détente, mais elles s'estompent... Mais, aussi, le soleil laisse place à l'ombre... La vie normale dissimule ses aspérités, et les jours passant, la réalité s'éclaire sous d'autres facettes... La vie de Marielle n'est pas si douce qu'il n'y paraît et Bégonia décèle en elle une âme sœur qui a besoin d'aide...
C'est une histoire noire, mais c'est une histoire de rédemption aussi. Jusqu'au bout, on se demande où Anne Bourrel nous emmène. Et l'on est content lorsqu'on arrive à destination !



Ce livre, je voulais le lire depuis un peu plus d'un an déjà, lorsque – grâce à Claire ! - j'avais découvert un premier texte d'Anne Bourrel, sa pièce de théâtre "¡Gualicho!", mise en scène par Isabelle François et interprétée par la comédienne Charo Beltran Nunez et la danseuse de flamenco Catha Poza. A la sortie de ce spectacle qui m'avait enchantée – encore une histoire de filles, de femmes ! - , j'avais pris une petite carte postale faisant la promotion de ce roman qui s'appelait alors "Station Service"... Claire en avait parlé là déjà ! J'ai un peu tardé à le lire et, entre temps, il a été réédité en 2015 par La Manufacture de Livres sous le titre "Gran Madam's" avec quelques révisions...
Souhaitons-lui longue vie ! Et espérons qu'il aura des petits frères, ce qui ne saurait tarder il semblerait !


PS : Et je suis bien d'accord avec Claire, ce livre mérite d'être traduit en espagnol, voire en catalan !


"Gran Madam's" d'Anne Bourrel. Ed. La Manufacture de Livres, 2015. 204 p.
ISBN : 978-2358870863



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