mardi, mai 26, 2020

« Chanson bretonne suivi de L’enfant et la guerre » J.M.G. Le Clézio (France)

À l’aube de ses 80 ans, J.M.G. Le Clézio, cet éternel voyageur, ce citoyen du monde, retourne sur les terres de son enfance et nous raconte deux histoires qui se répondent. Ce ne sont ni des confessions, ni un album de souvenirs, c’est comme un air qui revient, comme une chanson douce qui par petites touches parle de l’enfance. Le Clézio dit qu’il se méfie de la mémoire parce qu’elle est incertaine, qu’elle est faite de beaucoup d’imagination.
Ses souvenirs sont faits d’émotions, de sensations d’abord liées à la Bretagne dont il dit que c’est elle qui lui a apporté le plus d’émotions et de souvenirs. Il évoque ses vacances d’été, le Sainte Marine des années 50, la mer, la lande, les fêtes au château de madame de Mortemar, la fête de la moisson où « nous ressentions quelque chose, il me semble, qu’aucune leçon d’histoire ou de géographie ne pouvait nous enseigner, quelque chose qui nous reliait à notre passé lointain (puisque avant de partir pour l’île Maurice, notre famille avait appartenu totalement au monde fermier) et même au-delà, nous reliait au passé de l’humanité » (p. 51).
Il parle aussi de cette Bretagne qui change, qui entre dans l’ère de la modernité, de la langue bretonne qu’il faut maintenir, mais ce sans nostalgie. « La nostalgie n’est pas un sentiment honorable », dit-il, « elle est une faiblesse, une crispation qui distille l’amertume. Cette incapacité empêche de voir ce qui existe, elle renvoie au passé alors que le présent est la seule vérité » (p. 86). Il en parle enfin comme d’une terre infinie qui lui a fait comprendre la fragilité des choses « sans doute parce que je venais d’ailleurs, que je n’étais chez moi nulle part, ballotté, baladé entre la Maurice de mon père, la Bretagne de mes ancêtres et la Nice de mon enfance…les ajoncs me disaient qu’il y avait un autre monde avant le mien, que j’étais juste de passage » (p. 81).
Le second conte, « L’enfant et la guerre » nous ramène à Nice et plus précisément dans l’arrière-pays niçois, à Roquebillière où il a passé les années de guerre avec son frère, sa mère et ses grands-parents. Il ne sait pas précisément s’il se souvient, « la mémoire est un tissu fragile » (p. 125) mais des images, des sensations remontent, celle notamment de la faim que son corps n’a jamais pu oublier, « Non pas un creux mais un vide au centre de mon corps, tout le temps, à chaque instant, un vide que rien ne peut combler, que rien ne peut rassasier »(p. 128)  « Cela fait partie de mon être ce vide que les années de guerre ont creusé dans mon ventre, dans ma tête » (p. 132). Et puis il y a la violence, les bombardements, la mort de Mario, ce jeune résistant italien tué par l’explosion de la bombe qu’il transportait et dont on ne retrouvera qu’une mèche rousse. Il dit que la guerre lui a volé son enfance, que son premier souvenir est une bombe qui explose et que cela a fait naître en lui une violence qui perdurera longtemps. « La guerre tue les enfants. On ne peut pas vraiment être un enfant quand on est né dans une guerre » (p. 135).
Dans ce beau livre, Le Clézio continue de s’interroger sur le monde, qui suscite en lui de l’inquiétude, et sur lui-même. Ne dit-il pas, répondant à la question d’un journaliste qui lui demande pourquoi il écrit : « J’écris pour savoir de quoi je suis fait ». Et c’est en cela qu’il est universel.

Françoise Jarrousse

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