Je l’avoue pour commencer : je n’avais jusqu’ici pas de sympathie particulière pour Gérard de Nerval.
Mis à part ses fameux vers –« Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé / Le prince d'Aquitaine à la tour abolie/ Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé / Porte le soleil noir de la Mélancolie» j’étais en peine de citer l’un des titres de ses écrits les plus connus. Je me souvenais juste qu’il avait traduit Faust et qu’il était contemporain de Balzac et de Victor Hugo, de Théophile Gautier, et d’Alexandre Dumas.
Mais je ne savais pas particulièrement qu’il avait été voyagé au Liban.
Grâce à Denis Langlois, on va tout savoir sur ce voyage « en Orient », dans un pays que l’auteur connaît lui-même parfaitement – il faut relire son très bon roman « Le Déplacé » à ce sujet.
Et l’écrivain d’aujourd’hui a trouvé une forme originale pour parler de l’écrivain d’hier : il s’adresse à lui directement et d’emblée il le tutoie. Sans aucune flagornerie. Bien au contraire : le grand poète est démasqué à chaque fois qu’il travestit la réalité - (« Hypocrite ! Imposteur ! Comme si tu ne le savais pas, cela fait huit ans que tu es rentré ! ») - Celle d’un Liban de pacotilles que Denis Langlois n’a pas de mal à débusquer – à l’image de ce récit haut en couleur (un pseudo combat contre des Druzes) qui ne s’est sans doute jamais déroulé comme décrit par le poète. Pour tous ceux qui vénèrent Gérard de Nerval, attention, le risque est important de le voir tomber de son piédestal.
On comprend dès les premiers chapitres que le poète souffre de troubles psychologiques et qu’il a besoin de soins réguliers. Pourtant, quand l’occasion se présente, et grâce au fonds de son ami Fonfride, le « Voyage en Orient » - ce sera le titre de son récit à son retour publié en 1851 - dont tous les Européens rêvent est à portée de main. Nous sommes en 1843 et nous allons suivre le poète dans son voyage, déchiffré par Denis Langlois.
Ce voyage commence par l’Egypte où nous découvrons les démêlées du poète au Caire : il doit absolument être marié, sous peine d’être condamné à quitter son logement.
Fort heureusement il va découvrir la belle Zeynab, une esclave rebelle et susceptible, qu’il va devoir emmener avec lui au Liban, où il découvrira la religion des Druzes. Et surtout la belle Salema, dont le père, un cheik druze, est emprisonné. Qu’à cela ne tienne : le poète va s’occuper de faire libérer le père … pour mieux demander la main de sa fille.
Lequel père aura une parole très juste : « Si tu as voulu rendre service, tu n’as fait que ton devoir. Si tu y avais intérêt, pourquoi te remercierais-je ? »
Et donc, alors que le mariage est en bonne voie, la date fixée, et le poète en pleine étude de la religion druze : « Je tourne la page 559. Surprise, le chapitre est fini. Le suivant s’intitule Epilogue, il est situé à Constantinople. Tu as donc quitté le Liban. »
Une pseudo fièvre invoquée comme excuse pour quitter le Liban, qui suscite l’ironie de l’auteur : « Pauvre Nerval, quelle minable explication indigne de toi ! Quelle justification de faux jeton ! »
Dans la seconde partie du livre, on va suivre le poète qui poursuit son voyage en Turquie, puis Naples, Livourne, Gênes, et enfin Marseille puisque le poète revient en France en 1844, avec de fréquents allers et retours en clinique, allant parfois jusqu’à s’enfermer lui-même. Avec ce verdict posé par l’auteur : »Tu te trompes, Nerval. En fait, tu es perdu. C’est un mal insidieux dans tes bagages. On ne se remet jamais d’un voyage en Orient et encore moins d’une plongée dans la religion druze. »
La dernière partie du livre verra le poète errer dans Paris, retrouver la belle pianiste Marie Pleyel dont il est toujours amoureux mais sans espoir pour lui, et publier beaucoup.
Comme Nerval est connu pour ses mensonges, personne ne peut croire par exemple que Goethe ait dit du bien de sa traduction de Faust. Et cela lui vaut un esclandre avec Théophile Gautier, qu’il menace d’un couteau, ce qui heureusement ne finira pas en accident mortel.
L’intérêt du livre tient à l’adresse d’un écrivain à un autre, par delà le siècle et demi qui les séparent. Les comparaisons sont intéressantes, comme celle où l’auteur commente le propos du poète « il vaut mieux croire à une folie que ne rien croire du tout » : lui aussi, 170 ans plus tard, a couru après des utopies…
L’écriture est fluide, c’est agréable à lire, et ce tutoiement proposé par l’auteur en direction du poète nous le rend très vivant. Mais sincèrement le 19ème siècle n’est pas ma tasse de thé.
Le récit se terminera sur une scène datant du 2 mai 2020, où Denis Langlois se rend au Cimetière du Père-Lachaise pour voir la tombe de Gérard de Nerval. Déception : tout est terni, noirci – seule la présence d’un homard en plastique, « clin d’œil à l’une de tes excentricités supposées » - peut nous faire sourire.
Face à cette tombe dégarnie, une autre tombe avec un buste altier : celui d’Honoré de Balzac. Tout un symbole : l’histoire littéraire du 19ème a surtout retenu l’auteur de « la Comédie humaine », au détriment de cette figure majeure du romantisme français que fut Gérard de Nerval, et il n’est pas sur qu’elle n’ait pas eu raison.
Florence Balestas
Le voyage de Nerval, Denis Langlois, éd. La Déviation, 2020
Extraits
P. 10 : « Tu me coûtes cher, Nerval. Je suis obligé d’acheter quelques livres. Ton Voyage en Orient, 945 pages – rien que ça ! – heureusement il est en collection de poche, Les Filles du Feu et Aurélia. Avec Gérard de Nerval et le Liban de Hoda Adra et ta biographie, ce sera suffisant. Tes œuvres complètes dans la Pléiade, ce sera pour plus tard, lorsque je serai en fonds. »
P. 25 : « Tricheur ! Tu me déçois, Nerval. Une note de commentateur, il est vrai perfide, m’apprend en plus que tu n’as jamais mis les pieds à Trieste que tu évoques pourtant avec force détails. »
P. 79 : « Toutes deux te posent des questions sur la France où elles rêvent également d’aller, sur les mœurs des Parisiennes (Est-ce vrai qu’elles vivent avec des hommes sans être mariées ?), sur Napoléon (Est-il vraiment mort ?), sur les chemins de fer (Est-ce dangereux pour la santé ?).
La journée se passe agréablement, puis une autre. « En peu de temps, écris-tu, je me trouvais fort à mon aise dans cette famille. » Les deux dames, vêtues à présent de longues robes, se mêlent aux travaux de leurs gens. La plus jeune descend aux fontaines avec les filles du village, « ainsi que la Rébecca de la Bible ou la Nausicaa d’Homère ».
P. 82 : « Un soir, tu entends du vacarme dans la cour. Un grand évènement. Tout le monde parle avec inquiétude des « évènements » : les moines descendus de leurs couvents, les paysans qui ont délaissé leurs champs, les gardes du cheik. Des Druzes sont venus en nombre de leurs provinces et assiègent les villages mixtes désarmés par ordre du pacha de Beyrouth. C’est un devoir sacré pour les chrétiens d (‘aller porter secours à leurs frères sans défense. Les montagnards armés se pressent impatiemment dans les prairies autour du château. Des cavaliers parcourent les villages en jetant le vieux cri de guerre « Zèle de Dieu ! Zèle des combats ! »
Le cheik te prend à part.
- Je ne vois pas exactement ce qui se passe. Les rapports qu’on nous a fait sont peut-être exagérés, ce ne serait pas la première fois, mais nous sommes obligés de nous tenir prêts à soutenir nos frères. Les secours du pacha arrivent toujours trop tard. Vous êtes bien, quant à vous, de vous mettre à l’abri au couvent d’Aintoura ou de regagner Beyrouth
- Non, lui réponds-tu, laissez-moi vous accompagner. J’ai eu le malheur de naître à une époque peu guerrière, je n’ai pas encore vu de véritables combats. Seulement des batailles des rues. Que je puisse assister, dans ma vie, à une lutte un peu grandiose, à une guerre religieuse ! Il serait si beau de mourir pour la cause que vous défendez ! »
P. 177 : Un autre poème est, lui, prémonitoire (Il te vaudra en 2019 un regain de popularité). Tu y envisages rien moins que la ruine de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Pas à la suite d’un incendie, mais sous l’assaut du temps.
« Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître :
Mais, dans quelque mille ans, le Temps fera broncher
Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde,
Tiendra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher ! »
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