lundi, novembre 22, 2021

"Mistigris" de Philippe Vinard (France)


Philippe Vinard est un transfuge des étonnantes éditions Yovana qui ont publié trois de ses livres.

Avec Mistigris (aux éditions des Quatre Seigneurs), il nous plonge tout vifs dans sa propre parentèle. Quelle famille n'est pas déjantée, bancale, phobique, schizo, parano (ou particulièrement cachottière) ?! Celle-ci ne fait pas exception à la règle : un grand-père issu de la bourgeoisie protestante du Midi, prof en Khâgne, une mère qui, refusant d'être professeur, s'inscrit à Femme Sec (La Femme Secrétaire) ! Trois enfants qui, chaque automne, la regardent partir pour l'hôpital, conduite par le père, car au moment où les feuilles tombent, elle tombe elle aussi en dépression, jusqu'à ce qu'elle refile ce mistigri, cette mauvaise carte, à son mari.

Lui, donc, le père, qui en vertu de la règle des vases communicants, se trouve mal quand son épouse va mieux, et dont le corps devient « un hall de gare de maladies diverses » pendant trente ans… Sa cécité disparaît après son entrée en maison de retraite, mais à quoi bon revenir en arrière, il y reste.

lundi, novembre 15, 2021

"La Poésie du Portugal des origines au XXème siècle", Maryvonne Boudoy & al. (France)

 


La Poésie du Portugal éditée par Chandeigne offre à la poésie une bible de plus de 280 auteurs et quelques 1100 poèmes en version bilingue. C’est une somme qui donne à voir l’expression de toute une culture et civilisation avec ses constantes et ses variations et fait ressentir une saveur particulière inédite par son ampleur.

Que désirer de plus comme un livre univers pour un somptueux cadeau ?

A lire et à savourer par multiples gorgées, splendeur et vision tenace de toute une palette émotive et sonore qui enchante réellement.

Dans le mitan des langues le portugais s’offre une place de choix dans le domaine poétique et cette anthologie le démontre avec profusion.

François Szabó

La Poésie du Portugal des origines au XXème siècle, Maryvonne Boudoy et al., Édition de Max de Carvalho (Portugal), Chandeigne, 2021, 1892 pages

 

jeudi, octobre 21, 2021

"Les Bourgeois de Calais", de Michel Bernard (France)

 


Omer Dewavrin est le maire de la ville de Calais, et il a un projet : célébrer un épisode historique de la Guerre de Cent Ans dans la ville du Nord.

Nous sommes en 1347. La ville est assiégée par l’ennemi anglais, et malgré le courage des Calaisiens, les Anglais sont plus forts. C’est donc le sacrifice de ces six hommes, contraints de remettre les clefs de leur ville à leurs assaillants pour laisser la vie sauve à l’ensemble des habitants de la ville,  qui va marquer les esprits : Calais doit avoir sa statue pour commémorer cet épisode.

Mais Omer Dewavrin voit loin. Il lance un concours auprès de grands sculpteurs, et se rend à Paris pour rencontrer un sculpteur prometteur : Auguste Rodin. Nous sommes en 1884 et l’artiste a son atelier rue de l’Université au cœur de Paris. Rodin lui fait les honneurs de son atelier : il y a là une jeune femme nue, qui pose près du poêle. Il y a aussi « La Porte de l’Enfer » qui est en cours d’élaboration. Et encore la « République appelant aux armes », ou enfin « L’âge d’airain », qui marque profondément l’esprit du maire de Calais.

En repartant vers le Nord, il est décidé : ce sera Rodin le sculpteur des Bourgeois, et personne d’autre.

Toute l’originalité de l’auteur, Michel Bernard, c’est ce pas de côté : imaginer la relation d’amitié qui va lier le commanditaire et le sculpteur, à partir de la correspondance retrouvée entre les deux protagonistes, y compris celle de l’épouse du maire, Léonine Dewavrin, qui jouera un rôle prépondérant dans cette aventure, par sa ténacité à toute épreuve.

mardi, octobre 19, 2021

« Fille perdue » d’Adeline Yzac (France)


Adeline Yzac, dont le livre magnifique Nuech blanca a été publié en 2014 aux éditionsChèvre-feuille étoilée, nous offre dans le roman Fille perdue, l’histoire méconnue du traitement infligé aux filles qui découvrent leur corps en cette fin du XIXième siècle.

Anicette, 12 ans, enfant choyée dans un milieu traditionnel et religieux, tombe brutalement, sans rien y comprendre, dans la catégorie des filles perdues. Perdue pour la morale, pour la société, car elle a été surprise en train de se caresser. Anicette cherche le plaisir : elle ne fera donc ni une bonne épouse, ni une bonne mère. Sa famille va la perdre totalement, la briser, en la condamnant à grandir entre les murs de « l’institution » où des religieuses tentent de déraciner le vice du corps et des esprits des filles de rien : filles de prostituées, filles sans père, filles dont le corps n’est pas conforme à la féminité, filles lubriques.

dimanche, octobre 17, 2021

"La chair", de Rosa Montero (Espagne)

 


Soledad est une femme qui va fêter son soixantième anniversaire. Séduisante, elle a connu de nombreux amants, sans jamais ne marier ni avoir d’enfants. Son dernier amant vient de l’abandonner, la délaissant au moment ou sa femme vient de tomber enceinte. Soledad doit aller à l’Opéra voir et écouter Tristan et Iseult – un morceau qu’elle écoutait précisément avec son amant jusqu’à l’extase - et il n’est pas question d’y aller seule et de croiser son ex dans les couloirs non accompagnée.

Mais Soledad n’a personne de satisfaisant en vue pour cette soirée. Elle se tourne alors vers un site spécialisé et repère un Escort Boy qui fera l’affaire : Adam, 35 ans, magnifique –il fera sensation lorsqu’il s’assiéra à ses côtés, et l’ex-amant ressentira même peut-être une pointe de jalousie en le voyant à côté d’elle – c’est du moins ce que se dit Soledad dans son for intérieur.

Normalement Adam aurait dû rentrer dans Madrid une fois l’Opéra terminé. Mais un curieux incident devant un restaurant chinois que Soledad connaît bien en décidera autrement : en défendant le propriétaire du restaurant d’une agression à l’arme blanche, il va contraindre Soledad à l’inviter à se remettre les idées en place dans son prestigieux appartement madrilène, ce qui n’était pas du tout au programme …

Commence alors une relation tumultueuse entre Soledad et Adam. Désir ? Amours tarifées ? Relation amoureuse ? Difficile à déterminer, Soledad oscillant entre addiction à la chair du beau jeune homme et fascination pour son rôle de maîtresse femme achetant des vêtements magnifiques à son compagnon …

Rosa Montero excelle à dépeindre la femme de 60 ans, en lutte perpétuelle contre les méfaits du temps. « Le corps était une chose terrible, en effet. La vieillesse et la détérioration s’y tapissaient insidieusement et l’intéressé était souvent le dernier à l’apprendre.”

Il y a des pages hilarantes, notamment celle où elle décrit la valise d’une femme de son âge en déplacement : une liste infinie de produits pour combler les défauts inévitables qui apparaissent à la soixantaine.

vendredi, octobre 08, 2021

"Demain s'annonce plus calme" d'Eduardo Berti (France - Argentine)


D’entrée nous sommes prévenus : « Notre écrivain le plus célèbre annonce la sortie de son nouveau livre qu’il décrit comme « un roman éclaté en forme de journaux ». »

En bon oulipien, Eduardo Berti fixe les règles qu’il s’impose et nous emmène dans « un pays sans nom et un temps indéterminé qui pourraient être un miroir déformé de notre époque : entre réel et fiction. » Et l’on pense au passage à Pablo Martín Sánchez, oulipien lui aussi et à ses « Frictions ».

Au cours du récit, découpé en parutions successives d’un même journal nous découvrons :

- Un projet de loi qui fait polémique (Droits et devoirs de lecture et écriture pour écrivains et lecteurs),

– Un groupuscule coupable de vandalisme sur un certain nombre de livres, pages arrachées ou modifiées, titres changés (Le deuxième sexe devient le premier sexe, Cent ans de solitude vingt ans de solitude etc.),

mercredi, septembre 29, 2021

"Ubasute" d'Isabel Gutierrez (France)

La petite maison d’édition lyonnaise « La fosse aux ours » emprunte elle aussi les chemins de traverse et publie, en cette fin d’été, un petit livre singulier, un premier opus à la fois sombre et lumineux.

Ubasute , c’est cette tradition japonaise qui voulait que le fils aîné porte sa mère mourante sur une montagne pour qu’elle y vive ses derniers instants et on pense, bien-sûr, à la Ballade de Narayama.

Ici, c’est vers le Grand Rocher, dans les Alpes, que Pierre emmène Marie. Car Marie, atteinte d’un cancer en phase terminale, veut qu’il en soit ainsi. ( « Depuis l’aube blanche, Marie sent murmurer en elle le chant du départ » p21)

mardi, septembre 28, 2021

"United States of Abstraction, Artistes américains en France 1946-1964", Catalogue d’exposition

 

On le sait bien, rien ne remplace la vue grandeur nature des œuvres plastiques, cependant un catalogue d’exposition ne fait pas que prolonger une visite mais œuvre à informer et recueillir des émotions et aide aussi à mémoriser dans le foisonnement créatif de l’abstraction américaine en France. Cette exposition est belle et enthousiasmante autant que ces jeunes artistes célèbrent la vie tout simplement, que ce soit la maternité ou dans la force de l’âge le bonheur de lumière tendre, vive et chaude.

            Amicales correspondances, ces œuvres se côtoient et se répondent dans une amitié et une ferveur qui font du bien au sein de la dure condition d’artiste-peintre.

Et en transformant quelque peu le célèbre poème de Paul Fort :    

Le bonheur est dans le musée, cours-y vite, cours-y vite.

            Le bonheur est dans le musée, cours-y vite, il va filer…

Vous n’avez plus que jusqu’au 31 octobre 2021 au Musée Fabre de Montpellier !

François Szabó

United States of Abstraction, Artistes américains en France, 1946-1964, Catalogue d’exposition du Musée Fabre de Montpellier et du Musée d’Arts de Nantes, Éditions Snoeck, 2021