« Le
vendredi matin, peu après onze heures, le 4 x 4 de Mallarino
serpentait sur la route vitreuse en direction de la ville. Le pluie
fouettait la carrosserie : c'était à Bogotá une de ces
averses typiques qui empêchent toute conversation posée, obligent
les conducteurs à froncer les sourcils et à empoigner le volant à
deux mains. A gauche s'élevait la montagne, toujours menaçante,
donnant toujours l'impression qu'elle allait s'effondrer sur les gens
et passer sous le ruban gris de la route avant de dégringoler à
droite en pente rude, puis d'exploser au loin pour devenir
miraculeusement la topographie étendue de la ville. A l'horizon, là
où les collines de l'ouest perdaient leur côté verdoyant et se
teintaient de bleu, le ciel couvert de nuages gorgés de pluie se
paraît de la lumière des avions comme une vieille putain essayant
une paire de boucles d'oreilles. »
Nous avons
eu le plaisir de passer un moment avec lui sur la Comédie du livre
2013, et d'offrir au public une lecture de quelques passages de ses
romans :
Le
dernier roman de Juan Gabriel Vásquez, Las
reputaciones,
conte l'histoire, dans la Colombie d'aujourd'hui, de Javier
Mallarino, un caricaturiste célèbre et adulé, qui, suite à une
rencontre, va être amené à se remémorer un événement de son
passé et à remettre en question ses certitudes et ses convictions.
«Dans
quels replis de notre univers se cachaient, lâches et honteux, les
faits qui n'avaient pas su perdurer, rester réels en dépit de
l'usure infligée par le temps ou occuper une place dans l'histoire
des hommes ? Parce
que si elle ne sait pas, vous non plus. Le
problème de Samanta Leal n'était pas de ne pas savoir, mais d'être
incapable de se souvenir : la mémoire, sa mémoire d'enfant
avait été gênée par certaines distorsions, par certaines –
comment dire ? - interférences.
Il fallait restaurer sa mémoire : c'était pour cela et pour
nulle autre raison qu'ils devaient parler à la veuve de Cuéllar,
lui poser quelques questions simples et obtenir en retour quelques
réponses tout aussi simples. »
La mémoire,
la conscience, la responsabilité et le pouvoir des médias, voilà
quelques-uns des thèmes autour desquels Juan Gabriel Vásquez nous
invite à nous interroger ici.
« - Et
qu'est-ce que ça fait ?
- Qu'est-ce
que ça fait quoi ?
- D'être
quelqu'un d'important. D'être la conscience d'un pays.
- Vous
savez, on vit une époque détraquée. Nos dirigeants ne dirigent
plus rien et se gardent bien de nous raconter ce qui se passe. C'est
là que j'entre en scène. Je dis ce qui se passe aux gens.
L'important, dans notre société, ce ne sont pas les événements en
soi, mais ceux qui les racontent. »
Mallarino
s'amuse sans prêter attention aux autres. Il est cruel sans s'en
rendre compte. Il vit dans son monde, dans la réalité qu'il
s'invente. Pourtant nous éprouvons une sorte de compassion pour lui
lorsque, à la fin du roman, l'auteur semble abandonner son héros à
son sort, juste au moment où il a un sursaut de conscience morale...
Les
personnages sont particulièrement bien construits dans ce roman. Le
personnage de Magdalena, son épouse, est ainsi très intéressant.
C'est une femme qui va, au fur et à mesure de
l'histoire, réussir à trouver son équilibre, tandis que son mari
s'enfonce et se retrouve seul.
Un roman à
recommander, traduit en français par Isabelle Gugnon (publié au
Seuil).
Lisez
également les impressions de lecture de Marc Ossorguine :
Rachel
Mihault
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