mardi, octobre 11, 2016

"Ce qui nous sépare" d'Anne Collongues (France)

J'ai découvert le premier roman d'Anne Collongues, une jeune femme photographe de 30 ans. Paru chez Actes Sud en 2016.
Il s'agit d'une galerie de portraits de personnages qui ont en commun de tous se trouver, un soir d'hiver, dans le même RER.
Ce sont sept personnages ordinaires, trois femmes et quatre hommes, qui n'ont a priori pas grand-chose en commun si ce n'est le fait de se trouver au même moment dans un RER qui va de Paris vers la banlieue nord-ouest. Chacun-e se perd dans ses pensées et mène ses réflexions au rythme des mouvements du RER.
Ils semblent distants les uns des autres, chacun-e dans sa bulle :
 
« A quoi pensent-ils ? Le regard de Marie glisse sur les visages silencieux du wagon, sur celui très émacié de la femme au fond, plus proche d'elle, celui du garçon au sac de voyage, tourné vers la fenêtre, puis sur l'homme assis sur la même rangée qu'elle. Elle détaille sa veste élimée, ses longues mains pâles, il n'a pas d'alliance, un air mélancolique, elle l'imagine pianiste ou fleuriste, des mains qui servent, mais pas au gros œuvre, à quelque chose de délicat. Des mains presque féminines comparées à celles, solides et abîmées, de son père. On peut essayer d'interpréter les apparences, y associer des occupations, des caractères, mais ce que chacun pense, ressent, rêve, toute cette agitation invisible, cela reste mystérieux et inaccessible, aussi intime soit l'autre, cela lui fait mal de le réaliser, elle qui croyait savoir avec certitude ce que Gaétan pensait -ils se disaient tout, non?-, quand elle ne faisait que projeter ses propres désirs, elle s'en rend compte à présent. Ne faire qu'un est impossible. »

Sauf que le narrateur tisse peu à peu des liens entre eux, d'abord par le regard que parfois l'un des personnages pose sur l'un des autres passagers, puis en entrelaçant leurs pensées, en les mêlant presque :
« Saccade des pupilles sur les choses qui passent. La banlieue. Des fenêtres éclairées. Fragments de vie anonymes. Une rumeur parvient du wagon voisin, quelqu'un au téléphone. Marie tourne la tête. L'homme a rangé le carnet de jeu qu'il avait tout à l'heure dans les mains. Tout apparaît et tout disparaît. Comme inventé. Différent et identique, et ça ne s'arrête jamais. Elle a l'impression d'avoir laissé sa vie en sortant de l'appartement et en déposant l'enfant dans les bras de la jeune fille, en prenant ce train. Même ses souvenirs, ces trois dernières années, semblent maintenant appartenir à une autre : ce qui émerge sur l'écran de ses pensées, des images distantes dont elle est spectatrice, comme ce paysage par la fenêtre sur lequel ses yeux sont posés, et qui l'apaise malgré sa désolation, parce qu'il ne fait que passer, parce qu'il n'est déjà plus, parce qu'elle est déjà loin, et elle se laisse bercer par ce mouvement de fuite, cette même vitesse qui inquiète Frank, à trois sièges du sien. Il n'a le temps de rien distinguer, une sorte de stress s'empare de lui, les mouvements de son cœur s'accélèrent, Frank n'a jamais ressenti ce genre de palpitations, tout va bien normalement, il a fait des examens complets le mois dernier, mais il a chaud, de plus en plus, des picotements dans les mains, du mal à respirer. »


Un roman à lire et à recommander à la traduction : de très beaux portraits psychologiques, une galerie de portraits qui finalement nous donne une belle peinture sociologique. C'est superbe.
Rachel Mihault


Pour allez plus loin, voici le site internet d'Annes Collongues : http://www.anne-collongues.com/



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