Tout commence avec une
chanson du groupe Morphine, « The Night », à l’ambiance
crépusculaire : « You’re the night Lilah, a little girl
lost in the woods. You’re a folk tale, the unexplainable. You’re
a bedroom story, the one that keeps the curtains closed ».(Tu
es la nuit Lilah, une petite fille perdue dans les bois. Tu es un
conte ancien, tu es l’inexplicable. Tu es un conte pour s’endormir
le soir, celui qu’on raconte quand les rideaux sont tirés).
Tout commence à Caracas en 2010 avec les
coupures d’électricité décrétées par le gouvernement qui
plongent la ville dans le noir et la transforment en un lieu étrange
et inquiétant où l’on perd tout repère. Une jeune fille, Lila,
(la Lilah de la chanson ?) a été assassinée. Un psychiatre,
Miguel Ardiles, expert auprès des tribunaux, s’occupe de cette
affaire. Mais il s’occupe également d’un écrivain en devenir,
Mathias Rye et d’un publiciste amoureux des palindromes, Pedro
Alamo. Ces trois personnages se retrouvent à l’atelier d’écriture
qu’anime Mathias. Mathias qui veut en finir avec le réalisme
magique et créer le réalisme gothique, un réalisme qui côtoie le
fantastique et l’horreur, qui soit digne de Philip K. Dick et de
James Ellroy. Mathias qui vient de commencer à écrire « La
Nuit » !
Et nous sommes embarqués
dans cette histoire, dans cette ville devenue « grotte et
labyrinthe », ville angoissante et dangereuse qui « promet
d’être la véritable ville gothique ». Nous voyageons
également au cœur du langage (« attention au murmure des
mots ») avec Ferdinand de Saussure et Dario Lancini dont le
livre- palindrome « Oir a Dario » obsède Pedro Alamo. Et
avec Dario Lancini et ses amis écrivains révolutionnaires nous
traversons toute une époque, celle des années 50-60, époque
troublée où Dario et ses amis, dont Rafael Cadenas, le grand poète
cher à nos cœurs, sont jetés en prison puis condamnés à
l’exil. Nous les accompagnons alors au fil de leurs errances, à
Paris, Prague, Athènes et Varsovie, retrouvons Cortázar, Aragon et
bien d’autres. Nous perdons de vue Pedro Alamo dont on ne sait s’il
s’est vraiment suicidé et retrouvons Matias Rye au prise avec «
les créatures de la nuit » et prêt à commencer l’écriture
de « La Nuit » ainsi que Montesinos, le psychiatre qui
assassine ses patientes, dont la jeune Lila et qui « aime
détailler la couleur que la mort, pareille à un soleil défaillant
et inaperçu, dépose sur tous les visages ».
Ce livre est un roman
choral vertigineux où l’on se perd, un livre qui nous emmène
au-delà du réel dans un pays en perdition (« ce pays,
personne ne peut le sauver » dit Mathias Rye). Un roman
nocturne qui est comme une métaphore de la situation actuelle du
Venezuela.
Françoise Jarrousse
The Night, Rodrigo Blanco Calderon, chez Alfaguara et traduction française par Robert Amutio chez Gallimard, 2016
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