mardi, mars 21, 2017

"Contre-jour", de Sara Rosenberg (Argentine)

Une silhouette à contre-jour sur la couverture d’un livre. C’est un cerf. Pourquoi est-il là ?
C’est en premier lieu ce qui attire, le graphisme, et puis la qualité du papier si agréable au toucher, le choix de la mise en page et des caractères et le désir d’en savoir plus. C’est toujours ce qui se passe avec les Editions de la Contre Allée et c’est ce qui s’est passé avec ce roman de Sara Rosenberg qui vient de paraître. 
Ce livre, c’est « Contre-Jour » et ce cerf, c’est celui qui hante les nuits de Griselda Koltan comédienne argentine exilée à Madrid depuis de nombreuses années avec son compagnon metteur en scène engagé, Jerónimo Larrea.
Presque toutes les nuits, Griselda fait ce même rêve, un cerf est poursuivi et n’arrive pas à trouver le pont qui le sauverait. Ce sont sans doute les fantômes du passé qui hantent ses nuits, passé lié aux années noires de la dictature argentine, à la prison, à l’exil obligé et à l’insidieuse certitude que l’ancien pouvoir est là, dans l’ombre, à Madrid, décidé à éliminer les témoins de ses crimes. Et malgré le temps qui a passé, elle continue à avoir peur Pour échapper à ses cauchemars et pour se tenir debout elle boit. Alcoolisme mondain ? Non. Ces bouteilles bleues qui contiennent sa marque préférée de gin l’aident à vivre, même si, en même temps elle se détruit. 
« Elle s’était fatiguée à lui expliquer que l’addiction n’est qu’une façon de convoquer ce corps qu’on a perdu avant. On l’a perdu à cause de la peur et on s’accroche à ce que l’on peut » (p223). 
Griselda et Jerónimo sont à la tête d’une petite compagnie de théâtre qui survit tant bien que mal en montant des pièces exigeantes dont « Le Balcon » de Jean Genet. Elle est une interprète passionnée de Madame Irma et, comme elle, connaît tous les jeux du pouvoir, les faux semblants et sait qu’il ne faut rien lâcher. « Imaginez, si Irma s’était laissé envahir par le doute, tout se serait écroulé » (p216) Griselda se sait en danger. Il y a des ombres qui rôdent, qui pénètrent chez elle en son absence et laissent des traces. On luit dit qu’elle est paranoïaque mais elle sent que le danger est réel et elle en a malheureusement la preuve quand Jerónimo, qui doit rencontrer un vieil ami argentin de passage à Madrid disparait avant d’être retrouvé dans un hôtel où il se serait suicidé. Tout semble l’indiquer mais elle est convaincue qu’il n’en est rien. 
Et elle va se battre avec elle-même et avec ces ombres qui rôdent autour d’elle pour enfin trouver, comme le cerf de ses cauchemars, le pont qui la ramènera dans la lumière et la conduira à Larache, près de la tombe de Jean Genet face à la mer, où elle dispersera les cendres de Jerónimo, délivrée peut-être de ses peurs, enfin apaisée ? « Elle ferma les yeux. Le cerf courait en direction du bois et s’échappait enfin. On entendait toujours le fracas de la rivière tumultueuse mais il n’y avait personne dans les arbres » (p248).
C’est un beau livre, une histoire douloureuse qui cache des blessures intimes et collectives, le portrait sensible et émouvant d’une femme dans la tourmente. Et c’est sans aucun doute le cas de Sara Rosenberg qui, à la fin de l’histoire, dit, évoquant Baudelaire : « Sans doute écrit-on seulement pour que les bêtes ne puissent dévorer nos cœur ». (p251)
Il faut ajouter que la traduction de Belinda Corbacho est à la fois précise et sensible, et que la qualité des traductions est une constante à La Contre Allée. Et enfin que nous aurons le plaisir de rencontrer Sara Rosenberg et son éditeur à la prochaine Comédie du Livre à Montpellier.
Françoise Jarrousse

Contre-jour, Sara Rosenberg, La Contre-Allée, 2017 (traduit de l'espagnol par Belinda Corbacho)

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