Étrange
petit livre que celui-ci, publié l’année dernière par les
éditions de la Contre Allée invitées à la prochaine Comédie du
Livre de Montpellier. Pour l’écrire, Sophie G. Lucas, qui y sera
également présente, a assisté pendant plusieurs mois aux audiences
du tribunal de grande instance de Nantes et ce sont comme les minutes
de ces audiences qu’elle nous livre là. Des textes courts au style
incisif, rugueux, dépouillé, comme des coups de poing qui
réveillent les consciences. Plusieurs voix racontent, ce qui donne
de la profondeur à chaque petit texte. Et à travers ces paroles
c’est tout un pan de notre société malade qui nous saute à la
figure, celle des laissés pour compte, de ceux qui n’ont pas eu de
chance et qui souvent reproduisent la violence qu’ils ont eux-mêmes
subie. :
«J’ai une fille. Mais je la vois pas. Sa mère veut pas. Je sais pas pourquoi. Elle a déménagé je sais pas où. Il a été en famille d’accueil. Ses parents sont alcooliques. Mes parents m’ont déçu. J’ai essayé de les voir. Ça n’a pas marché. Tout me déçoit. J’ai tout essayé. » (p24)
« Il a vingt-trois ans. Il a commencé à mettre le feu. Comme ça. Quand ses parents se sont séparés. Il ne dit rien. Gorge nouée. Visage doux. Puis. En pleurs. Ce que j’ai fait est mal. J’étais au bout. Cette histoire me bouffait. J’ai pensé à rentrer à l’intérieur de l’immeuble pour en finir ». (p82)
Mais
il y a autre chose et c’est comme si l’évocation de ces vies
cassées, gâchées, renvoyaient Sophie G Lucas à sa propre histoire
et à celle de son père dont la figure se dessine peu à peu sous le
signe de « La longue peine ». Et ce qui aurait pu être
perçu comme un exercice de style, même s’il se fait l’écho
d’une réalité sociale, acquiert une profonde vérité humaine.
Nous ne sommes plus dans le domaine du constat mais dans celui d’une
quête personnelle douloureuse et sans doute nécessaire, et
profondément émouvante :
« Il m’arrive de ne voir dans le box que des enfants perdus. Je voudrais croire qu’ils ne sont que des enfants perdus. Même ceux qui sont censés être des hommes. Certains n’ont connus que la prison ou les institutions depuis l’adolescence. Mon père a été enfermé dans une maison de correction. L’abbaye de Fontevrault. Jean Genet, dans « Miracle de la Rose » écrit : « De toutes les centrales de France, Fontevrault est la plus troublante. C’est elle qui m’a donné la plus forte impression de détresse et de désolation, et je sais que les détenus qui ont connu d’autres prisons ont éprouvé, à l’entendre nommer même, une émotion, une souffrance comparables aux miennes ». C’est là qu’était mon père. Suite à son arrestation pour port d’armes. Ou pour cette fugue avec une jeune fille de son âge. Il était un jeune homme révolté avant d’entrer dans cette prison pour mineurs. Qu’a-t-il laissé là, son enfance, sa vie d’homme, ses espoirs, quoi ? » (p78)
Une
lecture qui secoue, une lecture nécessaire.
Françoise
Jarrousse
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