Nous avons beaucoup aimé le dernier roman de Victor del Arbol,
Un millón de gotas (
Toutes les vagues de l'océan).
Après les impressions de lecture de Liliana Tavera et de Laurence Holvoet, voici celles de Françoise Jarrousse :
C’est
pour moi une lecture déjà lointaine. Cet été pour la version
originale et il y a déjà 3 mois pour la version française dont la
traduction ne m’a pas toujours convaincue. Mais c’est un autre
problème.
Beaucoup
de choses ont été dites sur ce roman, sans doute le plus ambitieux
de Victor del Arbol, un vrai roman russe, et pas seulement parce
qu’une partie du roman se déroule dans la Russie de Staline.
Victor
dit que ce roman il l’a pensé comme un voyage, un voyage dans le
temps (de 1933 à 2002) et un voyage dans l’espace (il parcourt une
grande partie de la géographie européenne, de la Sibérie à
Barcelone en passant par la France). Mais c’est aussi un voyage
personnel, celui de Gonzalo cet avocat barcelonais d’environ 40 ans
qui va découvrir, en enquêtant sur la mort de sa sœur Laura, qui
était vraiment son père.
Comme
ses autres romans, celui-ci est construit comme un puzzle dont peu à
peu les différentes pièces s’assemblent. Mais cela n’a rien de
gratuit car il s’agit de dévoiler peu à peu l’histoire des
différents protagonistes. Des destins emportés dans la déferlante
de l’Histoire. Des destins qui sont autant de gouttes dans l’océan
de la vie.
Cela
m’a rappelé un vers d’Aragon qui m’a trotté dans la tête
pendant toute ma lecture : « C’était un temps
déraisonnable, on avait mis les morts à table …Est-ce ainsi
que les hommes vivent ? ». Ces références poétiques ne
sont pas gratuites car il y a dans le livre, comme des petits
cailloux semés sur une route, ces 2 vers de Maïakovski qui
reviennent comme un leitmotiv tout au long du roman : «
La première goutte qui tombe est celle qui commence à briser
la pierre – La première goutte est celle qui commence à être
océan ». Il y a aussi l’ombre d’Ana Akhmatova,la poétesse
de « Requiem » qui a donné son nom à un personnage clé
du livre. Un autre petit caillou, le médaillon qui renferme la photo
d’Irina,la mère d’Ana et qui traverse le temps.
C’est
étrange, mais j’ai l’impression de voir une œuvre en train de
se construire, comme on construit une maison, ou une vie. Je repense
au premier livre publié « El peso de los muertos » non
traduit et à une phrase qui avait attiré mon attention parce
qu’elle me semble essentielle pour comprendre le chemin que suit
Victor : « Quien no sabe de donde viene no sabe adonde
va » (p380). L’importance et la nécessité de la mémoire.
On ne peut se construire que si l’on accepte son passé, de manière
individuelle et de manière collective. C’est comme la colonne
vertébrale de tous ses livres. Et cela m’a rappelé ce que Juan
Gelman disait le 24/04/2008 quand il a reçu le prix Cervantes :
« Hay quienes vilipendian este
esfuerzo de memoria. Dicen que no hay que remover el pasado, que no
hay que tener ojos en la nuca, que hay que mirar hacia adelante y no
encarnizarse en reabrir vieja heridas. Están perfectamente
equivocados. Las heridas aún no están cerradas. Laten en el
subsuelo de la sociedad como un cáncer sin sosiego. Su único
tratamiento es la verdad. Y luego, la justicia.Sólo así es posible
el olvido verdadero. »
Et
puis, il y a d’autres éléments qui sont liés à ce qu’il est
et qui donnent à ses romans leur profondeur. C’est l’épaisseur
humaine des personnages. Ce sont des personnages de chair et de sang
qui nous sont proches, des relations humaines criantes de vérité et
qui nous ramènent sans cesse à nos propres interrogations :
Qui somment-nous vraiment ? Est-ce que nous connaissons vraiment
nos parents, nos proches ? (Je pense à la dédicace de « Un
millón de gotas » : « A mon père et à nos murs de
silence ») Comment traversons-nous l’histoire ? Qui sont
les véritables héros ? Quelle est la place de l’enfant dans
la famille ? Pourquoi ces enfances foudroyées, ces destins
brisés ? Pourquoi tant de douleur et tant d’horreur ?
C’est dans un voyage au plus profond de l’âme humaine que nous
sommes embarqués. Et malgré toute la violence du monde et la
violence des hommes, il y a toujours un espoir, la volonté de
continuer à avancer.
Ces
thèmes sont récurrents dans les 4 romans publiés de Victor del
Arbol , et les personnages se ressemblent . Lucía (« El peso
de los muertos »), María « La tristeza del samurai »),
Eduardo (« Respirar por la herida ») et Gonzalo (« Un
millón de gotas ») sont frères et sœurs. Et puis, dans
chacun des livres, il y a bien le poids des morts qui pèse sur le
présent et sur les vivants.
Une
démarche profondément humaine, des romans construits comme des
puzzles sans que jamais cette construction soit gratuite et un style
précis et nuancé à la fois avec des moments de grâce, des moments
où le temps semble s’arrêter.
Ainsi,
dès les premières pages: « El joven se acercó a la orilla. El
agua tranquilo del lago emitía un destello de latón.Ven, le decía
aquella oscuridad. Ven y olvidémoslo todo. El niño flotaba
boca abajo, como una estrella de mar, y las gotas de lluvia, millones
de ellas, borraban su cuerpo, que, poco a poco, empezó a hundirse ».
Il
y aurait, bien-sûr, beaucoup d’autres choses à dire, des pistes à
creuser. Je ne parle ici que de ce qui me reste en mémoire. Mais
nous aurons l’occasion de reparler de tout cela lors de la Comédie
du Livre !
(ne manquez pas la rencontre avec Victor del Arbol et Aro Sainz de la Maza, dimanche 31 mai à 19h au Gazette Café à Montpellier)