mercredi, octobre 21, 2015

"La femme du soldat inconnu" de Laurence Biberfeld




Une lecture indispensable !
A l'automne 2014, à l'occasion de la sortie de cet essai salutaire, une autre Laurence, Laurence Warot, l'a résumé ainsi :
« La femme du soldat inconnu de Laurence Biberfeld fait magnifiquement écho au livre Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir.
Là s’arrête la comparaison, mais elle est de taille.
Nous voici donc en 2014, Laurence Biberfeld écrit : « Je ne suis pas féministe, disent tant de femmes en se signant. Puis elles partent pour le boulot sans l’autorisation de leur époux, gagnent un argent qu’elles ne sont pas obligées de lui verser, prennent la pilule le soir avant de faire l’amour avec un homme qu’elles n’ont pas épousé et qui n’est ni le premier ni le dernier, votent si bon leur semble, dans l’oubli bienheureux de toutes les viragos féministes qui ont rendu toutes ces choses possibles. »
On peut donc considérer que les « viragos » dont parle Laurence Biberfeld ont fait le plus gros du boulot dans les luttes, les souffrances et même la mort.
Et pourtant, comme on le sait, les mentalités changent extrêmement lentement, du boulot il en reste à faire et de taille !
« Les femmes sont des objets décoratifs, les hommes sont des humains… continue Laurence Biberfeld, on fait de la beauté des femmes un point focal, tandis que celle des hommes est un détail, un luxe… »
Les femmes, au fil des siècles, ont par la lutte sous toutes ses formes obtenu en 2014 « presque » les mêmes droits que les hommes… dans les textes de lois.
Quant à leur application, c’est le jour et la nuit.
« Le moins que l’on puisse dire du féminisme, c’est qu’il est sujet à polémiques. L’égalité n’est certes pas un fait acquis, encore moins une idée admise. »
« Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme », scandaient les féministes en 1970.
Avec son style percutant, imagé, engagé, La Femme du soldat inconnu de Laurence Biberfeld serait à mettre en tête de la sempiternelle « rentrée littéraire ».
Ce serait tout à l’honneur des journalistes qui auraient l’occasion toute trouvée de se démarquer des Nouveaux Chiens de garde. »


Que dire après cela ? Qu'en plus d'être indispensable, c'est une lecture jubilatoire ! Bon… Pour les filles en tout cas ! Les garçons nous diront ce qu'ils en pensent eux…
Pour vous en persuader, voici quelques extraits…

p. 40
« Ces dernières années, au fur et à mesure que s'accentuait la crise, les normes sexuées revenaient de façon de plus en plus agressive et envahissante sur le devant de la scène, tandis que se multipliaient les lois égalitaires. Les jouets et les fringues pour gosses n'ont jamais été aussi sexués, au point de s'organiser en gondoles nettement séparées, ce qui n 'était pas le cas autrefois. La prostitution est présentée comme un droit, voire une libération, avec les mêmes ambiguïtés et les mêmes paradoxes que la libération sexuelle dans les années 1970. Ce n'est pas du tout un hasard. Le sexe est un très puissant instrument de contrôle social, de même qu'il peut être véritablement révolutionnaire. L'avancée la plus subversive, je l'ai dit, a été l'irruption de la contraception. Tout ce qui peut échapper à l'obsession de définir le statut des femmes à travers leur corps est réellement révolutionnaire. Ce qui est libérateur et fondamentalement nouveau, ce n'est pas d'être pute, les femmes le sont depuis la nuit des temps. C'est d'être physicienne, musicienne, biologiste, inventeuse. Ce qui est un formidable progrès, ce n'est pas d'être sexy et agréable à l’œil, c'est de pouvoir se payer le luxe de ne pas l'être, mais d'avoir quelque chose à dire et de pouvoir le dire dans l'espace public. Pour les femmes, le vrai combat n'est pas que de conquérir le sexe, c'est aussi de lui échapper. C'est que leur statut ne soit plus défini par le domaine sexuel ou reproductif, mais par celui des compétences. Qu'on cesse de se demander ce qu'elles ont à vendre, pour passer à ce qu'elles savent faire, ce qu'elles pensent. Poser sans cesse des questions qui tournent autour du champ sexuel, c'est encore et toujours éluder l'immense continent interdit et encore inexploité des capacités humaines, non sexuées, des femmes. Or ce qui construit aussi leur invisibilité récurrente, c'est qu'elles sont toujours ramenées, limitées, enfermées dans leur sexe. Un homme est humain, une femme est femelle. C'est cette catégorisation aliénante qu'il faut faire éclater. »
p. 49
« La plupart des femmes seules sont sur le pont, pour un combat sans fin avec les services sociaux qui les fliquent sous couvert de les aider. La misogynie du pouvoir se révèle d'ailleurs dans les modalités de ce flicage : si on s'est déclarée femme isolée avec des enfants, il n'est pas bon que l'assistante sociale tombe sur la brosse à dents d'un amant, ou pire, sur l'amant. Car les mères isolées ne baisent pas pour le plaisir, c'est connu, elles se font entretenir en loucedé, elles et leurs enfants. Et toute personne qui couche dans leur lit est tenu de prendre en charge, et fissa, toute la petite famille, car un homme, c'est ça qu'on attend de lui.
Et si c'était faux ? Si les aides sociales étaient conçues par les mères isolées comme le pécule qui justement leur permet d'être indépendante des hommes, lesquels du coup ont plus de fil à retordre pour imposer leurs éventuelles volontés ? Et si ce qu'elles considèrent comme une sorte de salaire maternel – d'ailleurs ridicule au regard de la sueur versée sur ce front méconnu de la survie familiale – leur permettait justement d'avoir des rapports plus égalitaires avec leurs amants ou leurs compagnons ?
Aujourd'hui, un quart des enfants en France grandit dans une famille monoparentale ou recomposée. Je ne trouve pas que ce soit une si mauvaise nouvelle que ça, au contraire. D'abord, la famille nombreuse, qui enseignait aux enfants le partage et un certain dédain pour le confort au profit de la solidarité, réapparaît sous cette forme. Les fratries s'étendent et se relativisent : si on peut être frères et sœurs avec un seul parent commun, on se sentira plus facilement frères et sœurs sans parents du tout. »


p. 52
« N'en déplaise aux femmes qui proclament qu'elles ne sont pas les ennemies des hommes et que l'égalité ne se fera pas sans eux, bien sûr que si ! Elle ne se fera et ne s'est faite jusqu'ici que contre une majorité d'entre eux. Bêler ce genre de conneries revient à dire que la réforme agraire ne se fera pas sans les grands propriétaires, que l'émancipation des esclaves ne se fera pas sans les riches planteurs. Pour éviter tout sexisme sommaire, j'ajoute qu'elle ne se fera et ne s'est faite jusqu'ici que contre une proportion équivalente de femmes.
En ce qui me concerne, la question s'est posée à peu près à toutes les étapes de ma vie. Je n'étais pas une fille très conforme. Enfant, je chérissais la solitude et le vagabondage. Je grimpais aux arbres et je sillonnais les collines. J'adorais les araignées et les serpents. Je collectionnais les grenouilles et tritons, et tous les animaux qui avaient l'infortune de me tomber sous la main. J'avais une sexualité envahissante. Par la suite, il s'avéra aussi que j'avais une passion et un talent précoce pour l'écriture et le dessin. Un être créatif, très sexué, plutôt solitaire et asocial est bien emmerdé pour faire valoir son identité quand il a une paire de seins. J'ai eu l'impression très tôt et de façon lancinante de n'être pas ce que j'aurais dû être, d'être ce que je n'aurais pas dû. Beaucoup de femmes disent : « Moi, ça ne m'a jamais posé de problème d'être une femme, on ne m'a jamais empêchée de faire quoi que ce soit pour cette raison. La ségrégation, je ne l'ai pas vécue. » Mais beaucoup de femmes n'ont pas de raison de la vivre : elles restent dans les limites que leur fixe la coutume. Les barbelés n'écorchent que ceux qui les franchissent. J'étais sur des teritoires masculins : l'indépendance, la solitude, le goût pour la polémique, la rhétorique, la politique, une certaine violence verbale et occasionnellement physique, une identité sexuelle forte mais atypique, une insoumission chronique. Je ne supporte pas plus d'être dirigée que je n'ai de goût pour l'exercice de l'autorité. Une femme des Mujeres Libres, une ouvrière, expliquait qu'elle était anarchiste car elle n'aimait ni commander ni obéir. C'est la définition de l'anarchie la plus limpide que je connaisse. Si j'avais pu exprimer ma curiosité, ma violence, ma créativité, ma grossièreté, ma sensualité et mon penchant pour la solitude sans rencontrer de constants problèmes de conformité, je ne serais pas féministes. Mais circuler dans un monde d'hommes dont le réflexe constant est d'effacer les femmes de l'espace public par tous les moyens, avec l'aide empressée d'un régiment de femmes aux réflexes masculinistes, m'a très tôt amenée à me dire féministe. »


Bon, en fait, j'ai encore un nombre incalculable de passages que je voudrais reproduire ici pour partager avec vous toutes ces indignations et toutes ces évidences que Laurence Biberfeld a salutairement rassemblées pour nous, lecteurs………. Mais non ! Trouvez ce livre – on peut le commander en librairie ! - et lisez-le, c'est encore le mieux, le plus efficace !

« La femme du soldat inconnu », de Laurence Biberfeld. Les éditions Libertaires, 2014.

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