Il
suffira d’un petit mot griffonné avec un bâton de rouge à lèvre
qui dit “à toi” pour qu’Inès découvre que son mari Ernesto a
une aventure extra-conjugale. Une aventure qui ne doit pas être la
première et qu’elle s’efforce de trouver bien compréhensible,
excusable même, car il ne l’a pas quittée pour autant. Tant que
les apparences sont sauves et qu’il n’y a pas de drame
spectaculaire… L’autre, c’est apparemment la secrétaire de son
mari. Poussée par une irrésistible curiosité, Inès va cependant
suivre celui-ci sur l’un de ses rendez-vous nocturnes… pour
assister au meurtre accidentel de sa rivale !
Dans
une famille exemplaire de la bourgeoisie aisée de Buenos Aires, il
va falloir cacher les choses. Disparition des preuves, à commencer
par le corps, fabrication des alibis… heureusement qu’Inès est
là pour sauver ce couple et cette famille si convenable. Une épouse
et mère “modèle” dont on découvre petit à petit le peu
d’estime dans laquelle sa fille et son époux la tiennent. Un
couple bien convenable qui est aussi passablement égoïste et centré
sur lui-même. Un couple qui semble plutôt bien désuni malgré les
apparences et qui ne voit rien de ce qui arrive à leur fille, Laura
dite Lali. Lali qui se retrouve bien seule pour faire face à ce qui
lui arrive et qui va radicalement transformer sa vie
Claudia Piñeiro / photo Ricardo Ceppi, El País |
Avec
un sourire malicieux et passablement cruel, Claudia Piñeiro lève le
voile sur des secrets de famille et de couple et fait glisser les
portes du dressing où pourrissent les cadavres. Méfiez-vous des
cadres si comme il faut et de leur épouses discrètes, un peu
“nunuches” mais si parfaites dans leur rôle de femme à la
maison, d’épouse et de mère irréprochables : leur
paradoxale indifférence égocentrique aux autres peut les conduire à
des extrêmes qui font frémir.
L’écriture
de ce récit des coulisses des charmes discrets de la bourgeoisie
argentine, mais qui pourrait être de bien d’autres pays, a une
dimension et une qualité cinématographique ou théâtrale
indéniable. Le style sans affèteries sait mettre le récit au
premier plan, nous emmenant sans hésitation ni précipitation vers
le dénouement d’une comédie noire où il ne finit peut-être que
par y avoir des victimes. Des victimes de la bienséance et des
apparences, des conventions et stratégies sociales bourgeoise qui ne
sont pas que l’apanage d’une certaine bourgeoisie, loin s’en
faut.
L’édition espagnole, chez Alfaguara |
C’est
au milieu des années 2000 que le public argentin découvre Claudia
Piñeiro avec son roman Les
Veuves du jeudi qui
remporte le prix Clarín en 2005. Deux livres jeunesse avaient
précédé de peu cette publication et aujourd’hui l’auteure en
est à son huitième roman avec Una
suerte pequeña paru en
Argentine et en Espagne cette année. Une œuvre conséquente que
complètent cinq pièces de théâtre. A toi est le quatrième opus
qu’Actes Sud nous permet de découvrir après Les
Veuves du jeudi, Elena
et le roi détrôné et
Betibou.
Marc Ossorguine
Billet initialement publié sur le blog Fils de Lecture
"A toi" de Claudia
Piñeiro, traduit de l’espagnol (Argentine) par Romain Magras, Actes Sud, 2015 (Tuya,
2005)
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