jeudi, octobre 29, 2015

"Le Roman de Laïd" d'Anne Bourrel

Le vendredi 11 décembre prochain, nous vous invitons à rencontrer Anne Bourrel et Laurence Biberfeld au Gazette Café ! Alors nous poursuivons avec plaisir la découverte de leurs écrits...

Aujourd'hui donc, voici ce que nous dit la 4ème de couverture du « Roman de Laïd » :
« Dans le carré musulman du cimetière de Lodève-en-Rivière, une jeune femme découvre par hasard le nom de Laïd Bourhala inscrit sur l'une des tombes.
Pour recomposer l'histoire de cet homme né en Algérie, la jeune femme bascule dans le monde de la Mémoire.
 "Laïd Bourhala est mort le 4 mars 1983. Sa tombe est belle à Lodève-en-Rivière, et de lui, je ne sais rien de plus..." »
Ce roman est court et rapide à lire, et l'écriture d'Anne Bourrel est toujours fluide. Il est construit autour de deux récits. Dans la première moitié, nous sommes aux côtés de Yasmina Loiseau.
Cette jeune femme sort d'une rupture amoureuse et, sonnée, elle vacille entre rêve et réalité lors d'un passage à Lodève. Son chemin croise alors la tombe d'un certain Laïd Bourhala, né en Algérie en 1950 et mort à Lodève en 1983. Sans savoir vraiment pourquoi, elle va partir à la recherche de ce qu'a été la vie de cet homme mort bien jeune. La deuxième partie du roman nous met en présence de Laïd qui va, lui, nous raconter sa vie, douloureuse, de fils de harki.
Par ce récit, Anne Bourrel nous entraîne dans la vie, dans les ressentis, de toutes ces familles dont l'exil est à la fois le fruit de leur choix et de la force des choses, sujet d'actualité s'il en est. Yasmina Loiseau est traductrice ; son métier l'amène donc à créer sa propre écriture en se glissant dans celle des autres, et aussi à se soumettre aux sujets qui se présentent… Elle creuse donc, elle cherche et elle finit par trouver… Elle nous laisse alors entre les mains de Laïd. Pour ma part, j'ai regretté qu'à la fin elle ne revienne pas pour nous laisser une piste : que tire-t-elle de cette aventure, de cette recherche, de cette trouvaille ?


Quelques extraits :
p. 42
« Elle ressassait, encore et encore. Elle repensait sans cesse au petit cimetière musulman, à la tombe. Naïvement, elle se demandait pourquoi il fallait différencier sur un espace géographiquement défini, les morts musulmans des morts chrétiens. Les lunes, les croix et les étoiles pourraient tout aussi bien cohabiter, cela aiderait peut-être les vivants… Elle restait des heures plongée dans des pensées informes. Le silence se faisait. Elle écoutait le vent. Elle regardait les lumières de la ville, elle contemplait le noir de la nuit. »


p. 45
« Un soir, alors qu'elle était allongée sur le canapé, près de la lampe rouge, en train de lire le petit livre des lettres de Flaubert que Jean lui avait conseillé, une phrase lui sauta aux yeux : « On ne choisit pas son sujet d'écriture, il nous tombe dessus. »
Elle n'avait pas non plus choisi de se trouver dans cette histoire, mais elle devait l'accepter. Aussi étrange que sa journée à Lodève-en-Rivière puisse paraître, cela avait eu lieu. Elle le savait, elle le sentait, elle le croyait. Elle avait reçu une mission, et elle allait devoir l'accomplir. Désormais, l'improbable était devenu sa réalité. »


p. 138
« Le premier soir, on nous servit de la nourriture militaire. Ma sœur Alima fut prise d'un de ses fous rires inextinguibles lorsqu'elle vit arriver dans son assiette une bouillie marronnasse. Nous, à la maison, on avait l'habitude des fous rires d'Alima. Ils prenaient généralement toute la tablée et on riait, on riait jusqu'à se rouler par terre. Mais cette fois, Alima a ri toute seule dans un silence embarrassé et puis elle a fini par pleurer et ma mère aussi.
A ce moment, j'étais découragé, je me souviens à quelle point j'étais découragé ; j'aurais voulu me coucher à même le sol et dormir, dormir pendant des jours et des jours. Mon père fixait son assiette remplie de cette bouillie, sans dire un mot. Il ne parlait pas beaucoup mais à partir de là, il s'est refermé comme une tombe. J'ai maintenant oublié sa voix. »


p. 140
« On est resté silencieux encore pendant deux ou trois longues minutes. C'était lourd, je baissais la tête, une boule au fond de la gorge, je n'arrivais pas à aller plus loin, à dépasser un étrange sentiment de honte donc je n'aurais pu déterminer la provenance. Une honte générale, que je sentais peser sur mes épaules d'enfant. Une honte que les adultes auraient dû endosser, que certains d'ailleurs endossaient.
Mon père ne parlait plus, et ces hommes maigres, qui se croisaient sans un mot, tous les jours, traversaient les champs poussiéreux de notre camp en portant cette honte de la guerre jusqu'aun fond de leurs yeux, noirs et immenses.
J'aurais voulu pouvoir lui raconter cela à Bruno quand on s'est retrouvé. »


p. 171
« Maintenant, mes trois sœurs habitent avec leurs maris, en ville. Elles ont épousé trois algériens, des fils de harkis de la cité ; pour elles, cela n'a pas été un problème.
Elles poursuivent leur vie, sans nous, elles sont plus fortes que nous : elles se débrouillent bien avec le présent et l'avenir, leurs enfants naissent et grandissent. Leur vie semble exister.
Nous trois, mon père, ma mère et moi, on n'a pas bougé. »


Pour en savoir encore un peu plus, vous pouvez aussi lire la critique de Penvins sur e-litteratures.net.

« Le Roman de Laïd » d'Anne Bourrel. Acoria éditions, 2008.

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