mercredi, mars 11, 2015

Isabel Alba

Isabel Alba est romancière, scénariste et photographe. 
La verdadera historia de Matias Bran (La véritable histoire de Matias Bran) est son deuxième roman.
Elle sera présente pour la prochaine Comédie du livre de Montpellier. Profitons-en !

Nous sommes à Madrid en 2010. Matías Bran, 65 ans, se trouve seul dans une chambre. Il est sur le point de se suicider. Il positionne son revolver dans sa bouche... Près de lui se trouvent des carnets de notes, des photos, et une valise confiée par son grand-père, qu'il n'a jamais ouverte, et qui contient toute une histoire. Si Matías Bran appuie sur la gâchette, cette histoire tombera dans l'oubli.



Le livre 1, intitulé El recinto Weiser (Les usines Weiser) revient sur l'histoire de cette famille. Elle se situe en Hongrie, au début du 20e siècle. Nous faisons connaissance avec une jeune fille, nommée Örzse, issue d'un milieu très défavorisé, et de son jeune frère, Miklós Brasz. Tous deux vont aller travailler dans l'usine d'armement Weiser. Va arriver la première guerre mondiale, et alors que certains ouvriers cherchent à convaincre leurs camarades d'aller combattre pour leur patrie, Örzse pour sa part milite pour la révolution, afin d'en finir avec le système capitaliste et renverser les dirigeants qui exploitent les ouvriers. 
Miklós, lui, va s'engager et partir faire la guerre, mais devant les horreurs qu'il voit, il décide de déserter.

« Miklós Brasz había enterrado a hombres con los que se había emborrachado la noche anterior en la trinchera o con los que había jugado a las cartas.
Miklós Brasz había visto caer a su lado a muchachos a los que había leído las cartas de sus novias o de sus madres.
Miklós Brasz había saltado en el campo de batalla por encima de los cadáveres de quienes le daban las órdenes.
Miklós Brasz había pisoteado en su huida a quienes había odiado y a quienes había amado. »

En 1919, c'est la révolution communiste, qui apporte de grandes avancées sociales, mais qui sera rapidement réprimée et suivie d'une dictature très dure.
Miklós va alors fuir et il se retrouvera en Espagne, sous le nom de Miguel Bran...
Nous attendons avec impatience le livre 2 pour connaître la suite de cette saga familiale. La valise en question ici a-t-elle une lointaine parenté avec celle de Walter Benjamin ? Il nous faudra patienter pour tenter de le savoir...
Même si ce récit est un peu trop didactique à mon goût, je l'ai trouvé très agréable à lire. L'écriture d'Isabel Alba est intéressante car très visuelle et poétique, inspirée par le théâtre et le cinéma.
J'ai bien aimé les réflexions d'Emma Fräter, amie de Örzse, qui nous explique ce que signifia pour elle l'apprentissage de la lecture :
« No he hecho otra cosa que trabajar, año tras año, día tras día, doce horas diarias ; de las máquinas al jergón, del jergón a las máquinas. […] Fue cuando Ilona Mennyei me enseñó a leer, ¿te acuerdas ?, cuando todos, uno tras otro, aprendimos a leer. La idea partió de Akos Zeléndy y creo que también de Örzse Brasz. Y fue una idea provechosa, al menos para mí, porque leer es la primeras cosa buena que me ha pasado en la vida. De pronto, después de muchos días de perder horas de sueño intentando juntar las letras, éstas formaron palabras y las palabras representaban ideas, y aunque aún no había cumplido doce años, nunca podré olvidarlo, empecé a darles vueltas y vueltas a esas ideas hasta que las entendí y entonces se abrió un mundo, nuevo y enorme, ante mis ojos. […] Y entonces, al fijarme en ellas por primera vez, comprendí para qué veníamos al mundo, que era algo que nunca me había entrado en la cabeza, no estábamos aquí para trabajar como mulas, no estábamos aquí para sufrir como dicen los curas, sino para ser felices. […] Frank, tú lo sabes, son solo algunos hombres los que han hecho el reparto de todas las cosas naturales y buenas que tiene el mundo, esas que están ahí para aportarnos la pequeña dosis de felicidad que nos corresponde a cada uno de nosotros. Esos hombres egoístas y malos se han quedado con todas ellas y para justificar su robo, porque en realidad son de todos y ellos se las han apropiado, nos enseñan con patrañas divinas, con cielos lejanos y bendicen su hurto llamándolo propiedad privada y haciéndolo, encima, hereditario para que pase de generación en generación. »

Rachel Mihault

La verdadera historia de Matias Bran, Libro 1: El recinto Weiser, Isabel Alba, Montesinos, 2011
Le roman a été traduit en français par Michelle Ortuno et publié par les éditions la Contre Allée sous le titre La véritable histoire de Matias Bran












































vendredi, mars 06, 2015

"Le Bourreau de Gaudí" de Aro Sáinz de la Maza

L'éditeur nous le présente ainsi :
« Un corps en flammes est retrouvé pendu au balcon d’un des monuments les plus emblématiques de Barcelone, La Pedrera, d’Antonio Gaudí. Bien mauvaise publicité pour la ville à quelques semaines de la consécration par le pape de la Sagrada Familia. Les services policiers sont aux abois et réintègrent l’électron libre Milo Malart, révoqué par mesure disciplinaire. »...





Vous aimez les séries policières américaines où des enquêteurs, à la vie personnelle parfois chaotique, cherchent un peu frénétiquement à débusquer les tueurs en série machiavéliques avant que leur prochaine victime ne succombe ?!?
Alors foncez lire Le Bourreau de Gaudí au plus vite : vous serez happés par ce récit ! Tous les éléments du genre s'y retrouvent. Le livre est trop gros ? Mais quand vous vous plongez dans l'une de ces séries télévisées, vous ne vous dites jamais « Mais il y a vingt épisodes de 45mn, c'est beaucoup trop ! », n'est-ce pas ? Alors ne faites donc pas les mijorés ! Vous ne le regretterez certainement pas...
Parce qu'en prime, vous aurez une très longue visite guidée de Barcelone, et ça, c'est tout bonnement super bon aussi ! Aro Sáinz de la Maza nous fait découvrir un à un tous les énormes jalons que Gaudí a laissés dans cette ville qui lui voue désormais un quasi-culte. Il nous fait aussi découvrir comment la ville a été transfigurée, pour le bien mais aussi pour le mal, par les transformations qui ont précédé la tenue des jeux olympiques en 1992... Il vous initiera à la sociologie de la ville en vous présentant aussi bien le fonctionnement de la nomenklatura catalane que celui des anti-systèmes, en vous parlant des sinistrés (les expropriés), de la classe moyenne chaque jour plus modeste, des jeunes traînant leur manque de perspective et leur déprime dans les rues et sur les places, et en évoquant même les touristes et les estivants qui peuplent la ville, les rues et la plage...
Et si vous ne connaissez pas la vie quotidienne à Barcelone en plein été, vous découvrirez comment sa moiteur et sa chaleur étouffantes vous clouent le corps et parfois l'esprit dans un état de quasi-liquéfaction qui vous fait vous demander comment vous allez bien pouvoir y survivre...
Bref ! C'est vraiment une belle expérience de lecture dépaysante...



Marc Ossorguine nous en parle lui aussi en ces termes :
« Ce qui est terrible avec un roman aussi magistralement mené que celui-ci, c'est qu'il vous attrape par le col et ne vous lâche plus avant la dernière ligne, vous amenant à devenir de plus en plus asocial au fur et à mesure que vous vous enfoncez dans le récit. Et même, le livre refermé, il vous faut encore du temps pour en sortir vraiment et reprendre pied dans votre propre monde. »...



Et aussi Audrey Chaix :
« C’est la première incursion d’Aro Sáinz de la Maza dans l’univers du roman policier, et espérons que ça ne soit pas la dernière : l’intrigue menée dans les presque 700 pages du Bourreau de Gaudí est conduite d’une main de maître, les ingrédients du roman policier tous distillés avec doigté. D’abord, il y a le tandem entre le flic bourru, menacé de suspension, et sa jeune coéquipière encore peu aguerrie aux pratiques du milieu, mais pleine de bonne volonté. Ensuite, il y a les crimes, spectaculaires, et qui prennent une dimension autre alors qu’ils convoquent le mystère de l’univers architectural de Gaudí ainsi que celui de la franc-maçonnerie. Ajoutez à cela une pincée de corruption dans les plus hautes sphères de l’intelligentsia barcelonaise, un zeste de pédophilie et un soupçon de journalisme véreux, vous verrez la sauce prendre sous vos yeux avides de connaître les nombreuses péripéties de l’histoire. »...



Et, cerise sur le gâteau, Aro Sáinz de la Maza fait partie des invités de la Comédie du Livre 2015 et nous aurons donc très bientôt l'occasion d'échanger avec lui sur ce qui l'a amené à écrire ce très bel hymne à Barcelone, à la fois très original, très contemporain et en même temps tout à fait sur les traces de tous ses prédécesseurs catalans du genre...



"Le Bourreau de Gaudí" de Aro Sáinz de la Maza, traduit par Serge Mestre. Actes Sud Littérature, coll. Actes noirs, sept. 2014, 672 pages.




Titre original : « El Asesino de la Pedrera »

lundi, mars 02, 2015

"Écoute-moi, Amirbar" de Álvaro Mutis


Il y a deux ans et demi, Leti nous parlait d'Alvaro Mutis, cet écrivain colombien majeur - contemporain et ami de Gabriel García Marquez - et de sa lecture du roman « Le dernier visage » où le héros nous invitait à fréquenter El Libertador, Simon Bolivar (voir ici : http://versionlibreorg.blogspot.fr/2012/03/le-dernier-visage-dalvaro-mutis.html).
Je vous parlerai aujourd'hui de « Ecoute-moi, Amirbar », l'un des sept romans dont le personnage central est Maqroll le Gabier, sorte de double littéraire du poète, que ce dernier a créé dans les années cinquante dès ses premières années d'écriture. Ce n'est que trente ans plus tard, dans les années quatre-vingt, qu'il a construit sept de ses romans autour de ce personnage  :
    - La nieve del almirante (La neige de l'amiral, 1986);
    - Ilona llega con la lluvia (Ilona vient avec la pluie, 1988);
    - Un bel morir (ibid., 1989);
    - La última escala del tramp steamer (La dernière escale du Tramp Steamer, 1989);
    - Amirbar (Ecoute-moi, Amirbar, 1990);
    - Abdul Bashur, soñador de navíos (Abdul Bashur, le rêveur de navires 1991);
    - Tríptico de mar y tierra (Le rendez-vous de Bergen, 1993).
Dans la préface de "Écoute-moi Amirbar" écrite en février 2014, son traducteur, François Maspero, rapporte qu'un mois avant sa mort intervenue en septembre 2013, Mutis disait encore à propos de son héros : « Je ne l'oublie pas. Je le garde toujours présent. Et je l'envie. » Maspero explique : «[Maqroll] El Gaviero, le Gabier, c'est l'homme de la vigie qui en haute mer, du plus haut du mât, veille au grain, guette les îles et les terres, les icebergs ou les récifs, devine d'où viennent les vents, brises ou tempêtes, et, surtout, sait prévoir les rencontres annonciatrices des pires désastres. Bref, il est dans l’œuvre d'Alvaro Mutis pas seulement le double, mais la face obscure de l'auteur. Ce n'est pas un hasard si le recueil complet des poèmes où résonne à toutes les pages la voix de Maqroll s'intitule les « Eléments du désastre ». »
Maqroll est donc un aventurier qui a bourlingué sur toutes les mers du globe, c'est un marin et un conteur dans l'âme, une sorte de Corto Maltese de prose. Dans « Ecoute-moi, Amirbar », Maqroll le Gabier, malade, raconte à ses amis ses aventures de chercheur d'or. Quittant momentanément la mer pour se rendre dans les profondeurs de la terre, Maqroll s'est un jour laissé emporter par la fièvre de l'or dans les cordillères de Colombie, dans les montagnes de la région d'Ibagué. Nature à la fois hostile et magique, inquiétante et apaisante, folie de l'amour et de l'or, rencontres avec les hommes et les femmes à la fois rustiques et complexes, le récit nous emmène vers un Eldorado perdu et désenchanteur... Mais l'aventure est belle et l'on y reviendrait avec plaisir !

Pour vous donner un aperçu, voici un extrait, page 96/97 :
« Plusieurs semaines ont passé, au cours desquelles mon compagnon a fait deux ou trois voyages à la capitale. Il mettait l'argent à l'abri dans sa ferme, en un endroit que nous étions seuls à connaître, lui, sa femme et moi. Je pensais être entré dans la routine d'une existence de mineur qui jouit d'une chance relative et d'un avenir apparemment certain. En même temps, certains signes se manifestaient çà et là pour m'indiquer que, comme d'habitude, un changement allait se produire et que j'étais sur le point de me retrouver dans le labyrinthe incertain de mes éternelles mésaventures. J'ai parfois l'impression que tout ce qui m'arrive vient d'une région extérieure et néfaste, ignorée des autres et destinée depuis toujours à moi seul. Je me suis si bien fait à cette idée que je sais jouir des brefs instants de bonheur et de bien-être qui me sont accordés avec une intensité que je crois inconnue des autres mortels. Ces moments-là ont pour moi un rôle réparateur et essentiel. Chaque fois que je les connais, je me sens comme si j'étrennais le monde. Ils ne sont pas fréquents et, naturellement, ils ne peuvent l'être, mais je sais qu'ils finissent toujours par venir et qu'ils m'échoient en compensation de mes disgrâces.
Un jour, Eulogio n'est pas revenu à la mine. Il était tellement régulier dans ses déplacements et dans ses activités que j'avais des raisons de craindre une mauvaise surprise. Et en effet, au matin du troisième jour, sa femme est arrivée, les yeux plein de larmes et en proie à la panique. En luttant contre ses sanglots, elle m'a raconté que son mari avait été arrêté par un barrage de l'armée sur la route, juste avant San Miguel. Il avait été emmené dans la capitale pour y être interrogé. Elle avait essayé d'entrer en contact avec lui, mais en vain. A la caserne, on l'avait menacée de l'arrêter, elle aussi. Toutes sortes de rumeurs circulaient, mais en réalité personne ne savait ce qui se passait. Dora Estela me faisait dire d'éviter à tout prix de descendre à San Miguel, car dans ces cas-là les étrangers sont particulièrement suspects. Pour l'armée, tout nom étranger est synonyme d'agitateur et de propagateur d'idées importées pour conspirer contre le pays. J'ai dit à la femme de mon associé de prendre l'argent que nous avions amassé et de payer un avocat ou quelqu'un d'influent afin d'éclaircir la situation d'Eulogio. Elle a hoché longuement la tête et m'a dit d'une voix étranglée :
- Non, monsieur, je ne retournerai pas là-bas. S'ils me mettent la main dessus, qui s'occupera de mes enfants et de la ferme ? Je vais voir si Dora Estela veut bien y aller. Mais moi je ne veux pas me montrer. Ces hommes sont capables de tout. Vous ne savez pas.


Si, je savais. En d'autres occasions et sous d'autres latitudes, j'avais vu et j'avais subi dans ma propre chair la brutalité systématique et sans visage des militaires. J'ai essayé de la consoler comme je pouvais. (...) »

Álvaro Mutis, "Écoute-moi Amirbar", traduction de François Maspero, Éditions Grasset et Fasquelle, 1992. (Points, 2014, pour la préface)

mardi, janvier 20, 2015

Un sueño


Un sueño en otro, de Andrés Trapiello




No se nota algo como la sencillez, por lo tanto se puede, a primera vista, creer que con un léxico común no se puede alcanzar picos metafísicos. Este poemario necesita, de parte del lector, leer y leer de nuevo los poemas. A tientas, Andrés Trapiello desdibuja su propia vía, su íntimo no revelado inmediatamente. Una lectura a ciegas, olvida lo esencial, el sueño y la vida: ”¿Quién no ha temido que la vida fuese/ un sueño extraño que se vierte en otro,/ como matrioscas rusas, este sueño/ no menos irreal o melancólico ?”
Desde el principio Andrés Trapiello pone las reglas y la temática, después hay que seguir este viaje en el hondo abismo del ser. Cada uno, a lo mejor, encuentra una voz en sus entrañas, en sus sesos, en todo el cuerpo.
Además la pregunta queda molestándonos, porque de este cuerpo, de esta vida, sabemos poco, casi nada.
Pero ofrecer la palabra a su ser entero perdido en un universo tan inmenso nos permite imaginar una salida.
No es un poemario de afirmación sino más bien el dudo siempre renovado. ¡Vuelva a leer otra vez!
François Szabó

Un sueño en otro, Andrés Trapiello, Tusquets Editores, 2004

jeudi, janvier 15, 2015

"Le Chien de Goya" d'Emmanuel Merle, poésie

Emmanuel Merle Le chien de Goya
Emmanuel Merle, Le chien de Goya


Le Chien de Goya fait partie des Peintures Noires, ensemble de 14 panneaux peints directement sur les murs de la Quinta del sordo, la maison de l’artiste, sur les rives du Manzanares.
Ce tableau [huile sur plâtre, transféré sur toile et qui se trouve maintenant au Prado], le dernier de la série, réalisée entre 1820 et 1823, a inspiré voire fasciné bien des artistes à la fois au niveau de la réalisation [entre abstraction et figuration] et de l’interprétation [solitude de l’homme, angoisse métaphysique]. Il a notamment irrigué une grande partie de l’œuvre de Antonio Saura qui y voyait l’expérience même de la création artistique.
La beauté de la réalisation plastique – les différents plans, les couleurs — est présente dans le poème d’Emmanuel Merle.
Mais le poète, dans une langue épurée, s’attache surtout à traduire l’inexprimable, et à saisir dans un mouvement fluide et enveloppant l’homme-Goya [enfermé dans sa surdité], son geste de peintre, le chien [à moitié enseveli], nous qui le regardons, et, comme dans un miroir, nous ne nous voyons plus que dans son œil qui exprime tout le tragique de notre condition humaine.
Je ne peux que vous engager à lire et à relire en boucle, comme je l’ai fait, ce magnifique poème. Il va à l’essentiel et il a un souffle qui nous emporte avec force et émotion jusqu’au dernier vers.
Emmanuel Merle a publié des nouvelles et des articles dans différentes revues [en France et à l’étranger]. Il est surtout l’auteur de recueils de poésie édités entre autres chez Gallimard, Pré Carré Sang d’Encre, La Passe du vent. Certains ont été primés : Prix Théophile Gautier pour Amère Indienne [2007], Prix Rhône-Alpes pour Un Homme à la mer [2008].
Le Chien de Goya vient d’être édité en octobre 2014 par les Éditions Encre et Lumière de Jean-Claude Bernard.
Le livre-objet, beau et sobre, est en harmonie avec la parole du poète, sur les pages le poudroiement d’or faisant écho à la lumière du tableau et la ligne brune à ses sables obscurs.


Avec l’autorisation du poète et celle de l’éditeur, je vous cite quelques extraits pour vous donner envie de découvrir le Chien de Goya d’Emmanuel Merle.
Le chien de Goya n’aboie plus,
son maître est sourd.
Ne plus entendre - le son est noir -
le cri du chien, c’est renoncer
à prononcer l’espoir.

L’aboi s’est dissous dans le brun,
il colore le tableau, et le ciel
est aux abois sombres de la nuée.
Sur le mur il y a des traces,
des mots difformes qu’un sourd
a jetés comme des crachats,

des mots de brute.
[page 7]




Peintre de chasse, comme on le dit d’un chien,
que chasses-tu qui maintient ta tête en arrêt
au-dessus du rien noir et mouvant ?

Le corps se débat, et c’est le cœur qui bat.

Mais l’œil guette, se tend toute la tête.
Corps sous la vase, peintre sourd,
que vois-tu, de ton regard simple ?

Le corps se débat,
le cœur bat,
l’œil.
[page 15]




On croirait que le soleil a trahi,
que la promesse de vie qu’abritait
la couleur irradie de la douleur
du feu le plus brûlant.

Qui tient ce pinceau qui étouffe
d’or nocturne, et qui en épaissit
le monde ?
Ce brun d’or, cet orage.

Rideaux sonores d’un déluge intérieur.
[page 23]



Animal, d’où vient que ni le mal ni le bien
ne font signe autour de toi, qui te noies
presque, toi qui juste avant n’aboies pas ?

Au fond, peut-être ne fais-tu que naître,
et ce cri que l’on attend
un autre l’a poussé que l’on n’entend plus.

Le ciel est un pan de mur jaune,
sans jugement, sans murmure.
[page 43]



Rythme sur le mur, musique intérieure,
voici le chant du sang, violoncelle
étrangement palpitant dont le son
d’or violent entoure la main qui peint.

Enfermé dans le tombeau du corps,
voici un bruit excisé comme une pierre,
et qui résonne là, dehors,

La couleur se fait entendre,

un chien, aussi bien une âme
sous l’archet.
[page 47]



Simple comme la nuit,
sans mots,
Le chien de Goya,
seul regard humain
sur les murs de la maison du sourd
[page 53]

Par Josiane Gourinchas, Traductrice

dimanche, décembre 21, 2014

Octavio Paz



Octavio Paz




Obra Poética

Obras Completas VII

Círculo de libros

Esta edición del poeta mismo, recoge todas las obras poéticas escritas en castellano por Octavio Paz así como sus traducciones hacia el castellano de grandes poetas del horizonte mundial pues también poetas chinos y japoneses forman parte de ellos.
             Octavio Paz vive la poesía pues sus ensayos “El arco y la lira”, “El mono gramático” muestran su avidez en tomar los senderos más duros que ascender hacía llegar a la poesía como mito eterno tan en “la hija de Rapaccini” que su palabra que brota del manantial poético en “Libertad bajo palabra”.
Arte poético, experiencia vital, todo se cristaliza en la palabra que hace su nido y del mundo entero su único nido. Tras la experiencia del surrealismo Octavio Paz encuentra la palabra fecunda y llena de porvenir pues es al mismo tiempo creación y afirmación del ser humano tanto en sus metas inconscientes como en su poder de profeta. 
Hada del lenguaje el poeta participa al ánimo del mundo también escribiendo con otras poetas para celebrar el mundo y la senda más. Allá de la palabra, el universo al alcance de la mano en esas miles de páginas.
François Szabó

vendredi, décembre 19, 2014

"Nécropolis 1209" de Santiago Gamboa

Lors de la venue de Santiago Gamboa en mai dernier à l'occasion de la Comédie du Livre (Montpellier), Nécropolis 1209 m'est arrivé entre les mains et je m'en suis régalée !


lundi, décembre 15, 2014

Dario Jaramillo Agudelo, poète hors du temps

Au printemps dernier, lors de La Semana Cultural de l'AFCM, nous avons eu le plaisir de faire connaissance avec l'oeuvre du poète colombien Darío Jaramillo Agudelo et même de partager un bon moment avec lui grâce à la magie de skype. Nous vous avions relaté cette rencontre dans une série de quatre articles, dont le premier se trouve ici : http://versionlibreorg.blogspot.fr/2014/04/semana-cultural-de-lafcm-soiree-poesie.html

Quelques jours plus tard paraissait dans El Tiempo (Bogotá) un long article consacré à cet auteur. Nous avons obtenu l'autorisation de vous en proposer la traduction ; la voici donc !

vendredi, décembre 05, 2014

Le dernier roman de Juan Gabriel Vásquez



« Le vendredi matin, peu après onze heures, le 4 x 4 de Mallarino serpentait sur la route vitreuse en direction de la ville. Le pluie fouettait la carrosserie : c'était à Bogotá une de ces averses typiques qui empêchent toute conversation posée, obligent les conducteurs à froncer les sourcils et à empoigner le volant à deux mains. A gauche s'élevait la montagne, toujours menaçante, donnant toujours l'impression qu'elle allait s'effondrer sur les gens et passer sous le ruban gris de la route avant de dégringoler à droite en pente rude, puis d'exploser au loin pour devenir miraculeusement la topographie étendue de la ville. A l'horizon, là où les collines de l'ouest perdaient leur côté verdoyant et se teintaient de bleu, le ciel couvert de nuages gorgés de pluie se paraît de la lumière des avions comme une vieille putain essayant une paire de boucles d'oreilles. »


Nous avons eu le plaisir de passer un moment avec lui sur la Comédie du livre 2013, et d'offrir au public une lecture de quelques passages de ses romans :

Le dernier roman de Juan Gabriel Vásquez, Las reputaciones, conte l'histoire, dans la Colombie d'aujourd'hui, de Javier Mallarino, un caricaturiste célèbre et adulé, qui, suite à une rencontre, va être amené à se remémorer un événement de son passé et à remettre en question ses certitudes et ses convictions.

«Dans quels replis de notre univers se cachaient, lâches et honteux, les faits qui n'avaient pas su perdurer, rester réels en dépit de l'usure infligée par le temps ou occuper une place dans l'histoire des hommes ? Parce que si elle ne sait pas, vous non plus. Le problème de Samanta Leal n'était pas de ne pas savoir, mais d'être incapable de se souvenir : la mémoire, sa mémoire d'enfant avait été gênée par certaines distorsions, par certaines – comment dire ? - interférences. Il fallait restaurer sa mémoire : c'était pour cela et pour nulle autre raison qu'ils devaient parler à la veuve de Cuéllar, lui poser quelques questions simples et obtenir en retour quelques réponses tout aussi simples. »

La mémoire, la conscience, la responsabilité et le pouvoir des médias, voilà quelques-uns des thèmes autour desquels Juan Gabriel Vásquez nous invite à nous interroger ici.

« - Et qu'est-ce que ça fait ?
- Qu'est-ce que ça fait quoi ?
- D'être quelqu'un d'important. D'être la conscience d'un pays.
- Vous savez, on vit une époque détraquée. Nos dirigeants ne dirigent plus rien et se gardent bien de nous raconter ce qui se passe. C'est là que j'entre en scène. Je dis ce qui se passe aux gens. L'important, dans notre société, ce ne sont pas les événements en soi, mais ceux qui les racontent. »



Mallarino s'amuse sans prêter attention aux autres. Il est cruel sans s'en rendre compte. Il vit dans son monde, dans la réalité qu'il s'invente. Pourtant nous éprouvons une sorte de compassion pour lui lorsque, à la fin du roman, l'auteur semble abandonner son héros à son sort, juste au moment où il a un sursaut de conscience morale...
Les personnages sont particulièrement bien construits dans ce roman. Le personnage de Magdalena, son épouse, est ainsi très intéressant. C'est une femme qui va, au fur et à mesure de l'histoire, réussir à trouver son équilibre, tandis que son mari s'enfonce et se retrouve seul.

Un roman à recommander, traduit en français par Isabelle Gugnon (publié au Seuil).

Lisez également les impressions de lecture de Marc Ossorguine :

Rachel Mihault

lundi, novembre 03, 2014

"Dépli" de Alfredo Costa Monteiro

Le jeudi 16 octobre dernier, nos amis de la Maison de la Poésie de Montpellier avaient invité la Collection Po&Psy (éditions Érès) à venir présenter ses parutions de l'année 2014. Ce fut une très belle soirée, pleine de vitalité et de variété !

vendredi, octobre 17, 2014

La crise

Née en 1946, Claude Halmos est psychanalyste et écrivain.
Formée par Jacques Lacan et Francoise Dolto, elle est aujourd'hui devenue l'une des spécialistes reconnues de l'enfance et de la maltraitance. Elle a exercé pendant plusieurs années dans des consultations de pédopsychiatrie, auprès d'enfants abandonnés ou maltraités.
Connue grâce à ses interventions sur Canal Plus et sur France info, elle répond également aux questions de lecteurs dans le mensuel Psychologie.
Elle a publié de nombreux livres, dont Parler c'est vivre (NIL, 1977) Dis-moi pourquoi, Parler à hauteur d'enfant (Fayard, 2012).

Elle aborde dans son dernier livre, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, le thème des ravages psychologiques qu'entraîne la crise chez les individus aujourd'hui.



Autour de ce thème, elle aborde de nombreuses questions. Par exemple, la question de l'éducation des jeunes défavorisés que l'école, au lieu d'aider, ne fait que reléguer au ban de la société (un constat fait par de plus en plus de personnes) :

« Ce handicap aux causes multiples, l'école aurait dû aider ces jeunes à le surmonter. Et elle aurait pu le faire si elle s'était montrée fidèle à la promesse de l'Ecole républicaine : donner à tous les enfants, d'où qu'ils viennent, les mêmes chances. Mais, faute de moyens financiers et plus encore sans doute de moyens humains, faute de projets, de perspectives claires, l'école ne l'a pas fait. Elle ne leur a pas permis de surmonter leur handicap.
Et elle a même souvent fait pire. Au lieu d'aider ces enfants à s'élever socialement, au lieu de les tirer vers le haut, elle les a poussés vers le bas. Aux « étiquettes » qui pesaient sur eux -fils (ou fille) d'immigrés, fils (ou fille) de pauvres, de chômeurs, etc-, elle en a, à la suite de leur échec en ses murs, ajouté une autre ; « inapte à toute scolarité ».

Elle aborde d'autre part une question plus controversée, celle de la suppression de la notation à l'école :

«les élèves souffrant moins de la notation que de la façon dont elle est utilisée, le problème ne nous paraît pas être de leur épargner cette notation, mais au contraire de s'en servir pour les aider à comprendre le sens de ce type d'évaluation. A comprendre que (nous l'avons précédemment évoqué) les notes qu'ils reçoivent n'évaluent pas la valeur de leur personne, mais celle de leur travail. Un travail qu'ils peuvent toujours améliorer.
Compréhension d'autant plus importante pour eux qu'elle leur sera nécessaire, durant toute leur existence, dans leur vie professionnelle.
Les partisans de la suppression des notes oublient en effet que, si l'école peut (éventuellement) se transformer, le monde du travail, lui, a peu de chances (du moins à court terme) de changer.
Que, dans ce monde, l'évaluation de leur travail (et qui plus est son évaluation en termes d'avancement ou de salaire) ne sera pas épargnée aux enfants devenus adultes. Et qu'il convient donc, pour les y préparer, de leur apprendre, dès l'école, à y faire face. C'est-à-dire à conserver, même si cette évaluation n'est pas bonne, le sentiment de leur valeur. »

On a pourtant envie de lui objecter que le monde du travail est en profonde mutation, et n'est-ce pas l'occasion justement de repenser le fonctionnement du système scolaire pour lutter contre ce que Claude Halmos dénonce elle-même, le fait que certains élèves soient systématiquement rejetés de l'Ecole et donc du monde du travail ? Mais ceci est une vaste question.

Elle décrit plus loin les conséquences de la crise sur les relations parents-enfants :

« Les parents atteints, par le biais d'une baise importante de revenus ou du chômage, sont en effet des adultes qui, nous l'avons dit, se dévalorisent. Atteints dans leur être social, ils ont l'impression de ne plus être « à la hauteur ». Et cette impression s'infiltre dans les rapports qu'ils ont avec leurs enfants.
Ils ont l'impression de ne pas être à la hauteur des attentes de ces enfants qui vont, pensent-ils, les comparer aux parents de leurs copains et les trouver forcément moins bien que ces derniers.
Mais ils ont surtout l'impression de ne pas être à la hauteur de leur tâche éducative. »

Elle conseille aux parents de ne pas cacher leurs inquiétudes à leurs enfants, mais de bien souligner que la situation n'est pas désespérée et que surtout elle est temporaire :

« Il est important aussi que l'enfant sente que, si le chômage et les difficultés financières sont un sujet majeur d'inquiétude, ils n'entraînent pas pour autant la mort de la joie de vivre. C'est la fête de mamie et on ne peut pas faire le repas que l'on aurait souhaité ? Cela n'empêche pas de mettre sur la table la nappe rose (bien plus jolie que la toile cirée), de lui faire de très beaux dessins, et surtout de parler, de rire, de s'aimer...
Faire tout cela quand on est un parent angoissé et déprimé n'est pas facile. Mais on peut, en comprenant que c'est indispensable et en rassemblant ses forces, y parvenir.
Et il est d'autant plus important que les parents réussissent à le faire que c'est aussi particulièrement bénéfique pour eux. Car, en temps de crise comme en temps de guerre, résister permet de ne pas seulement subir et de garder de soi une image qui aide à ne pas sombrer.
Vivre au temps de la crise est, pour les familles, un combat. Un combat qu'il faut gagner dans la réalité, mais aussi dans les têtes. Un combat pour lequel ces familles auraient, plus que jamais, besoin d'aide. »

Elle reproche alors aux psys (du moins à ceux d'entre eux qui interviennent dans les media) de ne pas prendre la mesure du retentissement de la crise, de ses conséquences psychologiques sur les individus :


« Ce silence assourdissant et généralisé sur les souffrances provoquées par la crise économique, sur la crise psychologique qu'elle a engendrée et qu'elle continue d'engendrer, n'a pas seulement des conséquences individuelles. Il a aussi des conséquences politiques.
Dire à quelqu'un (comme devraient aujourd'hui le dire publiquement les « psys ») : « Ce n'est pas vous qui êtes malade, c'est le monde qui l'est. Il vous fait payer sa maladie, c'est pour cela que vous allez mal. Et si vous ne supportez pas ce que vous avez à vivre, ce n'est pas parce que vous êtes fragile, c'est parce que c'est invivable », c'est lui dire qu'il n'est pas la cause de son problème. Qu'il n'a donc pas à se mépriser, à se détester, à se considérer comme un ennemi. Qu'il ne doit pas se laisser abattre, qu'il doit se battre. »

Elle s'attaque, notamment, à la « psychologie positive » :

« Les hommes et les femmes victimes de la réalité sociale de notre époque sont aujourd'hui, comme les hommes et les femmes prisonniers des inondations de notre exemple, confrontés à une situation réellement dangereuse. Ils savent qu'ils peuvent être, à tout moment, submergés. Non pas par une montée des eaux, mais par des problèmes matériels inextricables dus à la crise.
Dès lors, quel sens cela peut-il avoir de leur conseiller de « positiver » leur appréhension de leur situation, d'en chercher le bon côté ? Oserait-on demander à un enfant qui n'aurait, pour tout goûter, qu'une tartine sans beurre ni confiture de chercher, pour s'en réjouir, le meilleur côté de cette tartine.
Quel sens cela peut-il avoir de les encourager à savourer l'instant ? Peut-on savourer l'instant quand on sait que l'on risque, à tout instant précisément, de se noyer ? »

Vous l'avez bien compris, ce livre invite à la réflexion et au débat. Je vous en recommande la lecture, et pourquoi pas la traduction ?

Rachel Mihault