dimanche, mars 14, 2021

"Aller simple", de Erri de Luca (Italie)

 


Magnifique offrande poétique que cette édition bilingue, avec l’ouverture « Aller simple » au cœur du sujet humanitaire en Méditerranée qui rejoint l’action de S.O.S. Méditerranée. 

 

Où la poésie permet d’alerter, informer et agir pour sauver des vies. Si il y a bien une fonction du langage de partager, c’est bien un élan vers la vie qui importe et ce salutaire élan de s’accomplir.

 

Six autres voix :

 

La mer était une bande en travers, caresse des pieds,

le plus aimable barrage de frontière.

 

Ce n’était plus à nous, mais au bateau d’aller,

le bagage déchargé des épaules, la mer était un soulagement.

 

Ce n’était plus aux jambes de monter,

pour nous, marcheurs, la mer est un chariot.

 

La mer pousse, confuse, un jour elle court vers l’est,

un autre elle veut le nord avec ses giclées de lait sur les vagues.

 

La mer est une girouette, les hommes marins sont des enfants féroces et amers, d’un orphelinat.

 

La mer n’est pas un fleuve qui connaît le voyage, mais une eau sauvage,

au-dessous c’est un vide déchaîné, un précipice.

 

Une poésie de la conscience et de l’action !

Merci Erri de Luca !

François Szabó

Aller simple, Erri de Luca, traduit de l’italien par Danièle Valin, Edition bilingue Poésie Gallimard, 2021, 300 pages

samedi, mars 06, 2021

"Notes du ravin", de Philippe Jacottet (France)

 


La disparition récente du grand poète Philippe Jaccottet, et le démarrage de l’évènement « le Printemps des poètes » édition 2021 : deux bonnes raisons de parler de « Notes du ravin » de ce poète paru aux éditions Fata Morgana.

Dans ce cours opuscule, Philippe Jaccottet décrit les paysages de la Drôme qu’il habite et les pensées qu’elles suscitent en lui.

Il parle de l’absence, de ce vieillard qui a perdu « son compagnon de toute une vie », frappé par le cancer, et ce drame lui fait naître des mots qui touchent :

« Toute la misère humaine, quand on la touche du doigt, c’est comme une bête qui inspire une répulsion qu’il faut que le cœur endure et surmonte, s’il le peut. »

 

Dans ce poème en prose, on regarde avec lui le paysage qui l’entoure : le Mont Ventoux avec sa « couronne de pétales de rose », une buse monter « en lentes spirales dans la lumière dure de l’avant-printemps », la pluie, aussi, « froide comme du fer » ou des violettes au ras du sol : « ce n’était que cela », « rien de plus », « une sorte d’aumône, mais sans condescendance, une sorte d’offrande, mais hors rituel et sans pathétique ».

 On entend aussi le rossignol « sorti dans la brume d’avant le jour », on voit un engoulevent « dans le gris du matin, plus proche qu’il ne l’a jamais été de la maison, comme si ne pouvait plus l’effrayer quelqu’un d’aussi proche des ombres » ou encore un martin-pêcheur aperçu parmi les saules.

mardi, mars 02, 2021

"À la ligne" de Joseph Ponthus (France)

 


Joseph Ponthus était un homme fragile, extrêmement attachant, ses choix de vie en sont la preuve. Le cancer a eu raison de lui. Il avait 42 ans. Il nous laisse en héritage ce très beau livre poème paru il y a deux ans à La Table Ronde, À la ligne. À travers sa propre expérience c’est un magnifique hommage qu’il rend à tous les travailleurs de l’ombre :

Pour rejoindre la femme qu’il aime, cet homme au parcours atypique (hypokhâgne, khâgne puis éducateur en région parisienne) part pour la Bretagne et ne trouve pas de travail dans son domaine. Alors il embauche, « pour les sous » dit-il, comme intérimaire dans une conserverie de poisson puis dans un abattoir. Et il nous raconte cette expérience qui a été pour lui comme une déflagration de travail à la ligne, on ne dit plus à la chaîne.

lundi, mars 01, 2021

Apocalypse cognitive, de Gérald Bronner (France)


IL FAUT lire Apocalypse cognitive, de Gérald Bronner. Je lui sais un gré infini de mettre pour nous des mots et des chiffres sur une réalité contemporaine : « La dérégulation du marché cognitif – la capacité pour chacun d'intervenir sur le marché public de l'information, sur un blog, sur YouTube, Instagram ou Facebook – permet à tous de capter le temps de cerveau disponible d'autrui ».

L'auteur met en évidence cette sollicitation cognitive permanente ; le despotisme de l'événement ; celui de la comparaison frustrante à un autrui qui se pose en modèle idéal, libre de son destin et de ses désirs, répandu à des millions d'exemplaires sur les réseaux sociaux (mais nulle part il n'évoque René Girard et le « désir mimétique » ou « désir triangulaire » que ce dernier avait si bien analysés dans la littérature et la publicité, longtemps avant le déferlement d'Internet) ; celui des « boucles addictives » jouant sur les invariants de l'espèce humains (besoin de conflits, de colère, de peur, de sexe, etc.) et le fait que déjà, en 2010, selon l'Insee (p. 79), la moitié du « temps mental disponible » était dévorée par les écrans (TV, ordinateurs, téléphones).

jeudi, février 25, 2021

"Les Carpates" de Janet Frame (Nouvelle-Zélande)


Prenez une Américaine disposant d’une confortable fortune, et qui souhaite « connaître le monde ». Baptisez-la Mattina.

Expédiez-la en Nouvelle Zélande, pour qu’elle découvre « la vraie vie » ou « les vrais gens », dans une petite ville, à Puamahara, qui a vu naître la légende maorie de la « Fleur du Souvenir ». Faites-la résider rue Kowhai, d’où elle pourra rencontrer ses voisins pendant deux mois.

Il y a l’accordeur de piano, sa femme et leur fille autiste, il y a le veuf qui tond sa pelouse, il y a le dépanneur informatique qui teste des simulateurs de vol chez lui, l’ancien prisonnier de la guerre qui se croit encore dans les camps (voir l’extrait en fin de chronique) et il y a enfin une femme qui se dit écrivain mais surtout « impostrice ». Toutes ces personnes ne sont plus toute jeunes – et c’est une caractéristique qui aura son importance pour la suite.

Et des fleurs. Beaucoup de végétation dans ce petit village de Nouvelle Zélande, où le jardinage semble être un passe-temps très commun.

Et des souvenirs ? Que signifie cette légende de la « Fleur du souvenir » dont on voit les pancartes un peu partout ? Un simple « attrape-touriste », piège dans lequel Mattina serait tombée ?

Pas si simple.

Derrière la vie de quartier dans les années 70 d’une province qui se modernise peu à peu, derrière les façades propres et coquettes il ne se passe pas grand-chose. Tout cela ne serait sans doute que très banal – la vie paisible d’une rue d’une petite ville de Nouvelle-Zélande – si l’autrice n’introduisait pas à partir de la page 220 un élément insolite : « l’Etoile de la gravité ». Cet astre fictif, distant d’environ 7 Milliards de kilomètres, provoque des effets étranges comme la désintégration du langage.

mardi, février 23, 2021

"Les Orages" de Sylvain Pruhomme (France)

 


À
la fin de Par les routes, Sylvain Prudhomme évoquait longuement « The famous blue raincoat ». Parlant à la radio de son dernier livre Les orages, c’est une autre ballade de Leonard Cohen qu’il convoque, Anthem et ces mots précisément : « There is a crack in everything/ That’s how the light gets in ». Dans chaque chose il y a une fêlure/Et c’est par là que passe la lumière.

Et c’est bien de cela qu’il s’agit, de fêlures et de lumière, dans les treize nouvelles de ce nouvel opus, Les Orages paru en janvier chez Gallimard dans la collection L’Arbalète.

Les orages, ce sont ceux que la vie parfois nous réserve, les moments de bouleversements intimes, les moments où tout bascule ou peut basculer. Et c’est ce que racontent ces treize nouvelles. Treize, nombre symbolique, ce qui fait que l’on ne peut s’empêcher de penser à Nerval, même si cela n’a rien à voir (« La Treizième revient…c’est encore la Première »).

lundi, février 22, 2021

"L'Odeur d'un père" de Catherine Weinzaepflen (France)

 


Son père lui avait fabriqué un album relié en peau de serpent, dont la couverture portait en lettres d'or : Souvenirs d'Afrique… et même si ce titre s'accompagnait d'un millésime, on a le sentiment, à la lecture de L'Odeur d'un père, que les photos s'en sont envolées par poignées, comme ces papillons orange, jaunes, turquoise qu'il lui avait appris à capturer. Les photos éparpillées se chevauchent, on est toujours de plain-pied avec le présent : Quand j'ai onze ans, je découvre que l'odorat est mon sens de prédilection… Quand j'ai trois ans, je suis seule dans la grande cour… Quand je ne suis pas née… Quand j'ai seize ans, tu me gifles… Quand j'ai trente ans et plus, tu tombes malade… avec une occurrence dominante, celle des onze ans, l'âge clé.

samedi, février 06, 2021

"Un père étranger" de Eduardo Berti, traduction J.-M. Saint-Lu (Argentine)



C’est avec grand plaisir qu’on retrouve Eduardo Berti,écrivain argentin né en 1964, auteur d’une œuvre déjà conséquente, membre de l’Oulipo et qui nous entraîne, dans ce nouvel opus, en Amérique du sud, en France, en Europe centrale et en Angleterre.

Ce « Père étranger » qui vient de paraître à la Contre Allée est un étonnant jeu de miroirs qui met en scène un fils écrivain, l’auteur lui-même, qui cherche à comprendre son père qui vient de mourir et lui a laissé en héritage un roman inachevé, « La Dé
route ». Dans le même temps le fils écrit ou tente d’écrire une biographie romancée de Joseph Conrad et pour ce faire se rend dans le Kent, à Pent Farm, où ce grand écrivain a vécu à une période de sa vie avec sa femme Jessie et son fils Borys.

mercredi, février 03, 2021

"Comme un empire dans un empire", de Alice Zeniter (France)

 

Prenez deux personnages principaux.

Prenez un assistant parlementaire, prénommez-le Antoine et décrivez sa vie (à vous dégoûter pour toujours de postuler sur ce genre de fonction).

Prenez une hackeuse, ne lui donnez pas de prénom, seulement la première lettre d’un prénom – L – (elle ?).

Faites- les se rencontrer. Mais pas trop vite (attendez la page 122 pour qu’ils se croisent à une soirée) et ensuite la page 230 pour qu’ils se voient à nouveau dans un bar.

Essayez de tisser un roman avec tout ça.

Chacun a un « dedans » : L vit essentiellement au travers d’Internet, et fuit le monde du « dehors ». Antoine vit dans le monde du politique, tout aussi enfermant.

Qu’est-ce qui les relie ? Un âge similaire – ce sont des trentenaires – et sans doute un milieu parisien, même si ni l’un ni l’autre n’en sont issus. Mais aussi une forme de désillusion (plus d’idéaux dans lesquels s’engager aujourd’hui) et surtout une profonde lassitude, même si L a rencontré Elias, son double hacker. Mais celui-ci s’est fait arrêter et il lui manque profondément. Une forme de dépression les unit donc tous les deux.

Quant à Antoine, il se rêve écrivain – bien sûr, parce que comme de très nombreux Français (on les estime à 10% de la population, ce qui fait tout de même près de 6 Millions de Français) il voit en rêve son nom en tête de gondole de toutes les bonnes librairies parisiennes. Mais il peine à écrire.

Tout le problème provient du choix de ces deux personnages : si, comme moi, vous n’êtes pas très au fait du monde du dedans d’un hacker, l’auteur va bien devoir vous expliquer comment ça fonctionne. D’où un  long développement plutôt didactique pour qu’on arrive à suivre les aventures de L.

Un peu plus facile pour le monde politique, l’auteur va tout de même passer du temps à nous expliquer ce que fait un Assistant parlementaire, profession qu’on ignorait jusqu’ici jusqu’à ce qu’un candidat à la Présidentielle ne fasse irruption sur la scène médiatique, au sujet de sa prétendue assistante parlementaire qui n’était autre que son épouse.

Sur le plan sociologique, tout y est : on se replonge aussi dans une période très proche du point de vue du calendrier (tiens, Nuit Debout! ah oui on avait un peu oublié) ou la révolte des Gilets jaunes, mais lointaine depuis de nos préoccupations quotidiennes. La question du déterminisme social est aussi très bien traitée (Antoine n’en sortira pas si facilement, à l’image de « Leurs enfants après eux », de Nicolas Mathieu, Goncourt 2019).

C’est documenté, il n’y a rien à dire de ce côté.

 

mercredi, janvier 27, 2021

« Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce : réflexions sur l’effondrement » de Corinne Morel Darleux (France)

 


Je viens tout juste de terminer un petit bijou ! C’est tout bêtement le titre qui m’a interpellée : « Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce : réflexions sur l’effondrement » C'est écrit par Corinne Morel Darleux, qui est une femme politique que je ne connaissais pas et, en lisant son livre, je comprends pourquoi : elle ne semble pas être du genre à se mettre en avant pour le seul plaisir d’occuper la place…

Elle développe dans ce texte – défini par l’éditeur, Libertalia, comme un essai philosophique et littéraire rédigé à la première personne – une notion libertaire, anarchiste, qui est le refus de parvenir, à laquelle elle associe l’idée plus écologiste de cesser de nuire.

« Tout le sens du progrès social devrait consister à donner à chacun non pas l'égalité des chances, cette fable inventée pour conforter la compétition entre individus, mais la possibilité du choix.

Celle-ci ne dépend pas uniquement des conditions matérielles, même si elles sont bien entendu structurantes, mais aussi des constructions culturelles, de la formation d’un esprit critique, des capacités de raisonnement autonome : en un mot de l’éducation au sens large du terme. Il faut au moins ça pour résister aux normes sociales qui entravent la capacité à se conduire en esprit libre. Que vous soyez pauvre ou riche, tout est fait pour vous assigner une tâche de reproduction ou d’ascension sociale. Dans les deux cas, vous n’avez pas à construire vos propres critères de réussite : les conventions sociales les fournissent clé en main, assorti d’un petit manuel de développement personnel. En terme d’organisation sociale, il est plus sûr pour le pouvoir en place de fournir les rails que de laisser chacun glisser à sa guise, réfléchir à ce qu’il veut faire de sa vie et risquer ainsi de prendre des chemins de traverse. Imaginez que les pauvres choisissent de le rester, les travailleurs de ne plus perdre leur vie à la gagner, les consommateurs d’arrêter d’acheter !

mardi, janvier 19, 2021

"Lumière", de Christelle Saïani (France)


Ils sont deux. Deux qui souffrent, mais pour des raisons différentes. Deux qui a priori n’ont rien de commun, si ce n’est qu’ils se croisent parfois dans l’escalier.

Ambre, jeune femme au cœur tendre, croit avoir rencontré l’amour de sa vie en la personne de Léo. Mais quand celui-ci rompt brutalement, sans un mot d’explication, elle sombre.

Olivier a tout pour être heureux : la cinquantaine épanouie, une femme aimante, des enfants charmants, et des amis fidèles. Ambre les observe de la fenêtre de son appartement, qui donne sur leur jardin : une famille parfaite comme on en rêve et ça l’agace prodigieusement.

Sauf que.

Sauf que Olivier est atteint d’un cancer des poumons, et que le combat contre la maladie est très rude.

Entre ces deux personnages qui n’ont rien à faire ensemble, va se tisser une amitié inopinée, sans raison apparente, solide, profonde. Et les conduira à une traversée sans pareille.

Dans « Lumière », il est notamment question des corps : ceux qui maigrissent et déclinent, par dépression, mais aussi des corps avalés par la maladie : on suit pas à pas la descente du corps d’Olivier sous les coups du cancer qui dévore.

Mais qui fait toucher du doigt l’essentiel. Telle cette rencontre avec un père à côté de qui on est passé sans l’avoir jamais vraiment rencontré : ne pourrait pas ce saisir de ce moment exceptionnel pour se réconcilier ?

dimanche, janvier 10, 2021

« Initiations orientales » de Claire Escoffier et « Dernier virage ! » de Vincent Fauveau (France)

 

Je vous ai déjà parlé il y a quelque temps du « Pays de Mal au Cœur », premier titre d’une toute nouvelle petite maison d’édition montpelliéraine, Les Éditions des Quatre Seigneurs. Le catalogue s’étoffe vite, ils en sont à six titres déjà ! Proche des auteurs, je pourrais déjà vous parler de cinq d’entre eux, mais d’abord, surtout, de leur projet.

Bon, en fait, ils en parlent très bien eux-mêmes :

« Les Éditions des Quatre Seigneurs s'engagent à faire connaître les auteurs d'œuvres de qualité de tous les styles (fiction, témoignage, enquête, récit) et tous les genres (romans, théâtre, poésie, illustration). Sa ligne éditoriale privilégie les expériences personnelles et l'ouverture à l'Autre et aux différentes cultures. »



Ce que j’aime vraiment à la lecture de leurs publications, c’est le parti pris récits de vie, histoires de famille, mosaïques intimes ; c'est à la fois sans prétention et très honorablement écrit, ce qui fait que cela se lit avec plaisir et intérêt. Plaisir parce qu'on est touché par des éléments qui font écho à notre propre vie et intérêt parce qu'on plonge au cœur de cercles de famille et de milieux assez divers dont on ne connaît souvent que la surface.

vendredi, décembre 11, 2020

"Impossible", de Erri de Luca (Italie)

 

Ils sont deux.

Deux, face-à-face. Qui s’affrontent, comme deux chamois mâles, qui ont pu être frères, mais qui, devenus adultes, ne se feront pas de cadeau dans l’affrontement.

Celui qu’affronte au début du récit le narrateur, c’est un magistrat.

Il est jeune, beaucoup plus jeune que le narrateur, et il n’a pas connu l’époque des « années de plomb » dont il est question. Il est persuadé de la culpabilité du narrateur, et il veut le prouver.

De quoi s’agit-il ? D’une histoire de montagnes.

Parti faire de l’escalade en solitaire dans un endroit très escarpé, le narrateur voit devant lui un autre alpiniste. Arrivé près d’une crevasse, il aperçoit un corps, tout au fond. Il donne l’alerte, attend les secours, puis repart. Et redescend dans la vallée.

Mais le magistrat a une autre version : l’alpiniste devant lui était quelqu’un que le narrateur connaissait très bien : anciens camarades de jeunesse, ils ont ensemble combattu le capitalisme avec les forces d’extrême gauche. Mais ce camarade, ce frère de cœur, a commis l’irréparable : il a « vendu » ses camarades pour bénéficier d’une remise de peine. Le narrateur, comme ceux qui ont été dénoncés avec lui, a purgé une longue peine de prison.

Or voilà que ce traitre, puisqu’il faut bien utiliser ce mot, était lui aussi dans la montagne. Mais lui n’en est jamais redescendu.

Banal accident de montagne ? Coïncidence ? Homicide opportuniste ? Meurtre prémédité ?

Tout est là et ce sont les échanges entre le magistrat et l’accusé, emprisonné le temps de l’enquête, qui vont être consignés comme un procès verbal d’audition pourrait le faire.

Dans ce court récit, le grand écrivain italien Erri de Luca explore la question de la vengeance contre un traitre qui a été précédemment un frère de cœur.

Peut-on tourner la page et oublier complètement son passé ? L’enfermement en prison laisse-t-il des traces, après le retour à la liberté ? Et si l’occasion se présente, un homme trahi se vengerait-il du traitre qui l’a livré ?

La douceur vient du contrepoint du récit : Erri de Luca alterne les procès verbaux de l’interrogatoire, avec des lettres que le narrateur écrit en prison à sa dulcinée. L’occasion de s’expliquer auprès d’elle sur ses sentiments et ses sensations, mais aussi de déployer son argumentation auprès du magistrat qui, bien que persuadé de la culpabilité de son prévenu, l’écoute, curieux du récit de cette époque, avec de plus en plus d’intérêt.

mercredi, décembre 09, 2020

"Trencadis" de Caroline Deyns (France)

Dans Trencadis, ce livre paru à la fin de l’été et construit comme une mosaïque, Caroline Deyns évoque sous forme romanesque la vie et le parcours artistique de Niki de Saint-Phalle :

« Trencadis est le mot qu’elle retient. Une mosaïque de céramique et de verre, lui explique-t-on. De la vaisselle cassée, recyclée, pour faire simple. Si je comprends bien, le trencadis est un chemin bref de la dislocation vers la reconstruction. »

Et c’est bien cela la vie de Niki de Saint-Phalle, une enfance disloquée, une enfant délaissée par sa mère, violée par son père, qui se marie à 18 ans, est très vite mère et qui bientôt quitte mari et enfants pour aller à Paris pour enfin tenter d’être elle-même.

mardi, décembre 08, 2020

"Freshkills" de Lucie Taïeb (France)


La lecture du livre de Lucie Taïeb,
Freshkills, recycler la terre, a fait remonter à ma mémoire une lecture ancienne, celle d’une nouvelle d’Alejo Carpentier, Vuelta a la semilla (Retour à la source ou à la semence), que je n’ai jamais oubliée : un vieil homme, assis sur un banc, regarde des ouvriers qui démolissent une grande maison et, au fur et à mesure que la maison s’écroule, lui la reconstruit mentalement et fait revivre son histoire.

Il me semble qu’on peut relier cette nouvelle au travail de Lucie Taïeb commencé avec sa thèse, Territoires de mémoire, l’écriture poétique à l’épreuve de la violence historique, (Garnier 2012), ouvrage passionnant qui est, au-delà d’un travail universitaire rigoureux, le fruit d’une démarche intime et profonde.

Cette même démarche, on la retrouve dans Freshkills publié en 2019 au Canada et qui vient de sortir à La Contre Allée dans la collection bien nommée, Un Singulier Pluriel.

mercredi, décembre 02, 2020

« A » de Louis Zukofsky (États-Unis)

 


A est l’œuvre d’une vie, celle de Louis Zukofsky, composite, adressée à son fils Paul et à sa femme Célia, A est l’œuvre majeure de l’objectivisme américain. 

Pour la première fois disponible en traduction française intégrale, cet art poétique, livre d’un siècle : un nouveau monde. Ce livre est cette machine qui tue les fascistes telle celle de Woody Guthrie.

 

Il n’y a qu’en Chine qu’on voit des choses pareilles :

« Honorable Monsieur,

Nous avons lu votre texte attentivement

mardi, décembre 01, 2020

"Histoires enfantines" de Peter Bichsel (Suisse allemande)


Quelques mots sur un petit livre qui m'accompagne depuis quelques années, quelques décennies même, et que je rouvre toujours avec le même plaisir : les Histoires enfantines de Peter Bichsel. Écrivain suisse allemand peu traduit en France (né en 1935 à Lucerne). Ses Histoires enfantines avait été publiées une première fois par Gallimard en 1971, soit dans la foulée de l'édition originale (1969) et c’est Le Nouvel Attila qui les a rééditées il y a quelques années enrichies d'illustrations.

Pleins d'humour et de sens de l'absurde, ce sont sept contes drolatiques et profondément philosophiques qui questionnent la vérité, le langage et le monde. Les personnages sont juste un peu bizarres, mais d'une logique sans reproche. Ainsi cet homme qui voulait savoir ce qu'il savait, qui voulait vérifier ce qu'il savait, à savoir si la terre est vraiment ronde. Et aussi cet homme gris qui vit dans un monde gris et commence à le changer en changeant les mots puis en réinventant la langue, rien que pour lui. Et encore ce grand-père qui parle de l'oncle Yodok et qui, jour après jour, réduit le langage à l'essentiel, aussi loin que cela peut se faire. Vous croiserez également un homme qui s'échine à inventer ce qui existe déjà, et cela est bien difficile... Autant de fables qui naviguent à contre-courant du réel pour mieux le questionner, le mettre en déséquilibre, jusqu'à nous laisser en suspens au bord de nos certitudes. Cela avec une bienveillance qui pourrait passer pour enfantine mais qui l'est beaucoup beaucoup moins qu'il n'y paraît.

samedi, novembre 28, 2020

"La grammaire de Dieu", de Stefano Benni (Italie)

 

C’est un peu par hasard – merci aux bibliothèques, des trésors de bonnes surprises – j’ai découvert l’univers de Stefano Benni, auteur italien né à Bologne en 1947, grâce à ce recueil de nouvelles « La Grammaire de Dieu ».

Avec une palette de sujets très large, l’auteur détaille les travers de nos vies contemporaines, avec un regard à la fois amusé – un brin moqueur – et bienveillant en y ajoutant souvent une forme d’exagération et d’emphase, propre à son style, comme s’il observait nos comportements à l’aide d’une loupe grossissante.

La nouvelle qui m’a fait le plus rire s’intitule « Plus jamais seul » : un homme qui n’a ni femme, ni amis ni même un « demi-ami » se désole. Magasinier dans un dépôt de médicaments, il va chez trois coiffeurs différents pour tuer le temps. Iris, la barmaid du Mocabar, son bar préféré, ne lui sourit jamais.

Mais sa vie va basculer lors qu’il tombe sur une publicité : « avec Soleil, plus jamais seul ».

Soleil est une marque de portable, et l’on voit une fille bronzée téléphonant à tout un tas d’amis. Notre héros a donc la solution : il lui suffit de pousser la porte de la boutique de téléphonie et la vie va lui sourire. A partir de là, Iris la barmaid l’interroge sur le modèle choisi. Son chef le considère enfin, et lui envoie des SMS  supposés être très drôles. Et même si personne ne l’appelle, il marche jusqu’à tard dans la rue, son téléphone à la main, jetant quelques phrases de ci-de là comme un homme moderne. Et parce que son téléphone ne sonne jamais, il trouve une parade : il s’achète un second portable, avec lequel il peut s’appeler très régulièrement …

On pense à l’humour génial de « La vie très privée de Mr Sim » de Jonathan Coe, quand il constate, avec un grand soulagement, au retour d’un voyage, qu’il a une centaine de messages dans sa boite mel … soulagement tout relatif quand il se rend compte que ces nombreux messages sont surtout des propositions publicitaires pour de l’achat de viagra en ligne.

Il faudrait encore citer le savant, recherchant partout l’homme « le plus seul du monde » mais qui aura de nombreuses déconvenues en découvrant que les hommes qui paraissent tout à fait seuls sont souvent d’excellents business men qui savent très bien communiquer sur leur pseudo solitude.

mercredi, novembre 25, 2020

"Entre fauves" de Colin Niel (France)


Après la Guyane où il nous a emmené plusieurs fois, c'est en Afrique du Sud, plus précisément en Namibie, que Colin Niel nous transporte, avec un ancrage du côté des Pyrénées, au cœur du Parc National et de la vallée d'Aspe. Au départ, une photo qui circule sur les réseaux sociaux, celle d'une jeune chasseresse au regard dur, voire cruel, avec son arc à la main et derrière elle le cadavre de sa victime : un lion parmi les plus rares et les plus protégés. À la brutalité de cette image qui exhibe la mort et la fierté ou le plaisir d'avoir tué, répond une autre violence qui veut pourrir la vie de cette chasseresse au travers des réseaux internet, la livrer à son tour en pâture à un autre type de chasseurs. Mais personne ne sait qui elle est. Personne ne parvient à l'identifier. Mais c'est sans compter sur Martin, le garde expérimenté du Parc National, qui va lui aussi se mettre en chasse…

jeudi, novembre 19, 2020

"L'autre moitié de soi", de Brit Bennett (Etats-Unis)

 

Desiree et Stella sont deux jumelles noires.

Nées dans une petite bourgade, Mallard, peuplée de personnes noires, à une époque où les noirs st les blancs ne se mélangent pas.

C’est un drame familial (le père, tué par des Blancs, pour d’obscures raisons) qui est à l’origine de leur histoire. Adolescentes, elles fugueront ensemble à la Nouvelle Orléans.

Mais là, leur destin va bifurquer. Desiree la plus sage en apparence, restera parmi les siens, épousera un homme très noir et aura une fille avec lui – Jude. Battue par ce mari violent, elle le quittera sur un coup de tête, pour rejoindre Mallard et retrouver sa mère, ainsi que le chasseur de primes, embauché par son mari pour la retrouver, mais lui-même amoureux de Desiree dans le passé, qui deviendra son compagnon et un père de remplacement pour Jude.

Quant à Stella, elle réussit, parce que sa couleur de peau le lui permet, à se faire passer pour une blanche. Et vivre une vie de blanche, épouser son patron, un riche business man, et même avoir une fille totalement blanche, prénommée Kennedy.

De la couleur de peau il est vraiment question dans tout ce roman trépidant, où l’on suit tour à tour l’histoire de Desiree qui revient à la maison, puis Jude jeune adulte fuyant sa mère et sa grand-mère, puis la quête de Desiree pour retrouver sa sœur – en vain.

Peut-on vivre en permanence sur un mensonge ? Ce roman pose bien sûr la question de l’identité.

samedi, novembre 14, 2020

"Saturne", de Sarah Chiche (France)

 

Selon la mythologie, Saturne est un Dieu dont la cruauté potentielle a été renforcée par son identification avec Cronos, connu pour avoir dévoré ses propres enfants. Selon le mythe, il devint roi des Dieux mais refusa de libérer les Cyclopes et les Cent-bras. Il se maria avec sa sœur Rhéa. On  prédit à Saturne qu'il serait lui-même détrôné par ses propres fils :  Il décida alors de manger tous ses enfants, Hestia, Cérès-Déméter, Junon-Héra, Pluton-Hadès, Neptune-Poséidon.

Nul doute que Sarah Chiche a placé son roman sous la tutelle d’un Dieu étonnant. Elle a aussi certainement vu la reproduction du tableau de Francisco de Goya, peinte entre 1819 et 1823 directement sur les murs de sa maison dans les environs de Madrid.

Son récit s’ouvre sur ce qui va engendrer le traumatisme dont la narratrice et auteure va souffrir toute son enfance : l’enterrement de son père, alors qu’elle n’a que 15 mois, et que personne ne lui dit explicitement que son père est mort.

Visiblement Sarah Chiche est née dans une famille que l’on peut considérer comme toxique – et elle va nous expliquer pourquoi, en le détaillant avec force détails. Harry, son père, est le cadet d’une fratrie de deux enfants, nés dans les années 40 en Algérie, dont le père est à la tête d’une grande clinique prospère. Après le retour douloureux en France, où comme de nombreux rapatriés toute la famille va souffrir du syndrome de l’exil, un second chapitre va s’écrire dans une clinique que le père va bâtir à l’image de celle d’Algérie.

En attendant la famille habite un château magnifique, où l’on fait bombance tous les jours. On tente de reformer le paradis d’Alger. Pendant ce temps, Harry, envoyé en pensionnat en Normandie, végète dans l’ombre de son frère aîné à qui tout réussit. Il va de soi qu’ils deviendront tous les deux médecins, comme le veut la tradition familiale, et la rare expression personnelle d’Harry qui dit son intérêt pour la psychanalyse est balayée d’un revers de main par son père.

jeudi, novembre 12, 2020

"Management 1.0 et réseaux sociaux : déjouer les rouages de la servitude volontaire", de Didier Romann (France)

 

J’aime bien le catalogue des Éditions L’Instant Présent, qui publient des livres autour de l’éducation et de la parentalité. Leur dernière publication est un peu différente mais tout aussi intéressante et même très intéressante : il s’agit d’un livre foisonnant, passionnant, rempli de réflexions et de pistes à explorer…

Son auteur est Didier Romann, qui a travaillé pendant 35 ans comme directeur des systèmes d’information.

Il a écrit ce livre pour nous raconter son expérience et nous faire partager ses réflexions sur le monde du travail aujourd’hui.

En introduction, il nous explique quels sont ses objectifs :

« Riche de mon expérience, je souhaite dénoncer l’ambiance détestable qui règne aujourd’hui dans la plupart des entreprises, avec ses effets dévastateurs sur le plan humain, mais aussi sur les performances économiques des organisations. Je nourris l’espoir d’une prise de conscience collective concernant la cupidité et l’irresponsabilité des acteurs du monde de la finance. »

L’auteur est à la fois très technique (quand il nous décrit les différentes facettes de son métier par exemple) et littéraire, lorsqu’il invente des pseudos ou des surnoms pour désigner ses collègues ou les managers, qui deviennent alors des personnages (qu’il nomme entre-autre : La Bienveillance, Cruella, le Félon, Monsieur Loyal, Narcisse, Le Patriarche, Persifleur, Le Tacticien, etc).

vendredi, novembre 06, 2020

Deux coups de coeur poésie (France-Grèce et France/Catalogne)

 


Le coup de cœur de l’année en poésie, poèmes en grec et en français par l’autrice Katerina Apostolopoulou, 

J’ai vu Sisyphe heureux est le formidable ensemble poétique à hauteur des œuvres des poètes grecs du XXème siècle, Ritsos, Elytis, Séféris, Sikélianos, Dimoula. 

 

Précieux livre à avoir toujours à portée de la main. Viatique de réconciliation avec le monde.

 

mercredi, octobre 28, 2020

"Le Pays de Mal au Cœur" de Philippe Vinard (France, Nouvelle-Calédonie)

Aujourd’hui à la retraite et vivant à Montpellier, Philippe Vinard a pendant plus de trente ans été consultant en santé publique dans le monde entier. C’est dans ses souvenirs et parfois dans les notes prises tout au long de sa vie qu’il plonge désormais pour nous raconter quelques uns des épisodes qui l’ont le plus marqués.

Il a déjà publié deux ouvrages aux Éditions Yovana, Les Sirènes du Kampuchéa (2019) et Comédies médicales (2020), qui regroupent des chroniques romancées nous racontant la vie étrange des travailleurs humanitaires dans des périodes historiques clés, au Cambodge pour le premier et au Tchad pour le second.

Ce nouvel opus , Le Pays de Mal au Cœur (suivi de Nou), est cette fois le récit de la découverte de la Nouvelle-Calédonie au début des années quatre-vingt par deux jeunes enseignants métropolitains exerçant dans un collège rural protestant. C’est une histoire à mi-chemin entre le roman et la description documentaire d’un milieu étonnant et méconnu. On y découvre beaucoup de choses, notamment sur l’histoire contemporaine de cette grande île.

"A la mesure de l’univers" de Jon Kalman Stefansson (Islande)

 


Après le très beau « Entre ciel et terre », récit d’une pèche nordique âpre et rude, après « Le cœur de l’homme », tout aussi digne d’une odyssée, Jon Kalman Stefansson publie ici un récit où il est question d’amour, et de mort, de musique, beaucoup, de poésie aussi, beaucoup – il faut dire que les Islandais y portent une attention toute particulière, beaucoup plus que nous, qui avons perdu de vue l’importance d’en lire.

 Il souffle un vent de nostalgie sur ce roman qui parle de destinées, d’enfant orphelin, de morts injustes, des étoiles la nuit, de l’alcool qui entraîne la violence et les coups parfois sur ceux ou celles qu’on aime.

On va croiser de nombreux personnages, que l’on suit sans linéarité sur trois générations, tels que  Margret et Oddur, le grand-père d’Ari, les femmes Veiga, Lilla, Sigga, mais aussi Tryggvi, et Jakob, le père d’Ari, Anna, sa dernière compagne, mais aussi Pordur, Svavar, Arni et bien d’autres.

Ari rentre en Islande pour voir son père Jakob, qui va bientôt mourir. On découvre alors Reyflavik (à ne pas confondre avec Reykjavik), une ville de pécheurs, parce que pécher du poisson c’est important.

 « Si nous oublions de tirer le poisson de la mer, ce poisson qui compte de plus en plus et qui, bientôt, sera plus important que l'agriculture, eh oui, qui l'eût cru, nous peinerons de plus en plus à survivre et notre rêve d'indépendance ne se réalisera pas. » pense Oddur, alors que son fils Pordur, très doué pour l’écriture, rêvasse sur le bateau où Oddur règne en maître. Peut-être est-il en train de composer un poème, ou d’écrire dans sa tête un récit épique – une écriture qui attirera l’attention d’un grand maitre de la poésie qu’est Gunar Gunnarsson - mais pour comprendre ce qu’il aurait peu advenir de Pordur, il faudra aller jusqu’au bout du récit.

vendredi, octobre 16, 2020

"L'Arrachée belle" de Lou Darsan (France)

 


Une fois encore, La Contre Allée délaisse les grands axes et nous emmène sur des chemins de traverse, à la découverte d’un univers singulier. Cet univers c’est celui de Lou Darsan, blogueuse, voyageuse, dont le premier ouvrage, « L’Arrachée belle », est paru il y a peu.

C’est un livre dans lequel on peut refuser d’entrer ; mais si on se laisse porter par le flot des mots, on est embarqué dans un voyage inoubliable et qui nous interroge.

Au centre du récit, il y a une jeune femme au mal-être profond. La ville où elle vit l’oppresse. Dans l’appartement qui est le sien elle étouffe. L’homme qui est son compagnon est devenu un étranger. Tout vacille autour d’elle et en elle. Elle a même peur de disparaître par la bonde de la baignoire.

Alors, dans un ultime sursaut, elle s’arrache à cette vie mortifère et elle part :

mardi, octobre 06, 2020

« Traduire ou perdre pied » de Corinna Gepner (France)

Corinna Gepner est traductrice, elle a même été la présidente de l’Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF). Germaniste, elle vient d’être récompensée avec le prix Eugen-Helmlé.

Dans ce texte fragmenté, elle nous livre ce qui l’anime, ce qui la pousse, ce qui la fait douter… en permanence ! Cela se lit d’une seule traite, c’est un pur régal.


Morceaux choisis :


« Plus je traduis, moins je sais. Plus j’ai d’habileté, plus le sol se dérobe sous moi, plus les mots, les phrases révèlent leur double, leur triple fond et bien plus encore. Je ne cesse de composer avec le vertige. Le texte, foncièrement, m’échappe, et pour travailler je dois faire comme si je savais, juste comme si. »

 

« La traduction est pour moi une lente et systématique destruction de ce que je croyais savoir. Car il y avait la croyance en un savoir possible et le désir de bâtir sur du solide. Cette croyance-là s’effrite de jour en jour. »