Ils sont deux.
Deux, face-à-face. Qui s’affrontent, comme deux chamois mâles, qui ont pu être frères, mais qui, devenus adultes, ne se feront pas de cadeau dans l’affrontement.
Celui qu’affronte au début du récit le narrateur, c’est un magistrat.
Il est jeune, beaucoup plus jeune que le narrateur, et il n’a pas connu l’époque des « années de plomb » dont il est question. Il est persuadé de la culpabilité du narrateur, et il veut le prouver.
De quoi s’agit-il ? D’une histoire de montagnes.
Parti faire de l’escalade en solitaire dans un endroit très escarpé, le narrateur voit devant lui un autre alpiniste. Arrivé près d’une crevasse, il aperçoit un corps, tout au fond. Il donne l’alerte, attend les secours, puis repart. Et redescend dans la vallée.
Mais le magistrat a une autre version : l’alpiniste devant lui était quelqu’un que le narrateur connaissait très bien : anciens camarades de jeunesse, ils ont ensemble combattu le capitalisme avec les forces d’extrême gauche. Mais ce camarade, ce frère de cœur, a commis l’irréparable : il a « vendu » ses camarades pour bénéficier d’une remise de peine. Le narrateur, comme ceux qui ont été dénoncés avec lui, a purgé une longue peine de prison.
Or voilà que ce traitre, puisqu’il faut bien utiliser ce mot, était lui aussi dans la montagne. Mais lui n’en est jamais redescendu.
Banal accident de montagne ? Coïncidence ? Homicide opportuniste ? Meurtre prémédité ?
Tout est là et ce sont les échanges entre le magistrat et l’accusé, emprisonné le temps de l’enquête, qui vont être consignés comme un procès verbal d’audition pourrait le faire.
Dans ce court récit, le grand écrivain italien Erri de Luca explore la question de la vengeance contre un traitre qui a été précédemment un frère de cœur.
Peut-on tourner la page et oublier complètement son passé ? L’enfermement en prison laisse-t-il des traces, après le retour à la liberté ? Et si l’occasion se présente, un homme trahi se vengerait-il du traitre qui l’a livré ?
La douceur vient du contrepoint du récit : Erri de Luca alterne les procès verbaux de l’interrogatoire, avec des lettres que le narrateur écrit en prison à sa dulcinée. L’occasion de s’expliquer auprès d’elle sur ses sentiments et ses sensations, mais aussi de déployer son argumentation auprès du magistrat qui, bien que persuadé de la culpabilité de son prévenu, l’écoute, curieux du récit de cette époque, avec de plus en plus d’intérêt.